Le Colibri
Texte d’Élisa Shua Dusapin / Mise en scène par Joan Mompart / Musique de Christophe Sturzenegger / Théâtre Am Stram Gram / Du 10 mai au 15 mai 2022 / critiques par Claire Cornaz et Céline Bignotti .
Un envol enchanteur
12 mai 2022
Par Claire Cornaz
En ce début de mois de mai, le Théâtre Am Stram Gram ainsi que l’Orchestre de la Suisse Romande présentent Le Colibri, fruit de la collaboration entre l’autrice Élisa Shua Dusapin, le compositeur Christophe Sturzenegger et le metteur en scène Joan Mompart. À la suite du spectacle, Le Colibri est devenu un livre illustré par Hélène Becquelin, parallèlement produit en livre-audio avec les compositions de Christophe Sturzenegger. Le spectacle évoque la rencontre entre le jeune Célestin et Lotte (prononcé LottÉ), mais aussi, en parallèle, le réveil d’un petit colibri qui sort petit-à-petit de sa torpeur, afin de s’envoler dans le ciel, les ailes plus légères.
Tout se passe sur un toit, représenté ici par une scène en pente, qui produit comme une sensation de vertige. C’est aussi un vertige qu’éprouve Célestin, qui vient d’arriver en ville après avoir déménagé de sa maison au bord de la mer. Il transporte avec lui des coquillages, ses angoisses, ses fantômes, et une torpeur similaire à celle dans laquelle se trouve le petit colibri que son grand-frère, Célin, lui apporte. La jeune Lotte aide Célestin à s’éveiller de cette torpeur. Ce dernier se débarrasse petit à petit de sa chrysalide vestimentaire, retirant sa capuche et son pull au fur et à mesure qu’il s’ouvre à sa nouvelle amie. La musique rythme cette métamorphose, après avoir ouvert la pièce sur la danse de Lotte. La lumière changeant de couleur rend visibles et accentue les changements de scènes, la plupart du temps accompagnés par les thèmes de Christophe Sturzenegger, interprétés par l’OSR ou le Collège de Genève dans la fosse, en contrebas du manteau de scène. Ces changements de tons colorés et musicaux produisent aussi une ambiance dans laquelle on se perd, avec quelques projections d’images parfois fixes, parfois légèrement animées, qui étayent et illustrent les échanges entre les personnages au fil des scènes. Élisa Shua Dusapin, lors d’un bord de scène, confirmait que la composition de la musique et le processus d’écriture des personnages ont été liés depuis le début du projet. Il n’est donc pas étonnant de voir les personnages de Lotte ou Célin danser lors des transitions entre les scènes, exprimant corporellement leur personnalité, leurs émotions, leur rôle et leur histoire.
Le Colibri est un spectacle touchant, qui parvient à développer avec précision des thématiques intimes. Aux nombreuses collaborations artistiques à l’œuvre répondent les collaborations entre les personnages eux-mêmes, qui apprennent à se connaître et deviennent partenaires pour aider un oiseau à s’éveiller de sa torpeur, à se redéployer grâce à l’amour qu’on lui porte. C’est avec une boule à la gorge qu’on applaudit le final de ce spectacle, se demandant s’il ne s’agit pas en fait d’un colibri d’émotions qui s’est coincé là, et qui chercherait seulement à s’envoler de plus belle.
12 mai 2022
Par Claire Cornaz
Un petit soulagement pour l’âme
19 mai 2022
Par Céline Bignotti
De la collaboration entre le metteur en scène Joan Mompart, l’autrice Élisa Shua Dusapin et l’Orchestre de la Suisse Romand (OSR) est né Le Colibri, un spectacle pour les plus jeunes, mais qui réchauffe même les cœurs des plus anciens. Parallèlement paraît un livre illustré par Hélène Becquelin, qui s’inspire directement du spectacle, et dont la version livre-audio permet aussi d’écouter les compositions de Christophe Sturzenegger.
Le Colibri raconte l’histoire de deux jeunes gens, Lotte (à prononcer Lotté, pour éviter, comme le dit la protagoniste, de confondre avec le nom du poisson), interprétée par Clémentine Le Bas, et Célestin (Mathieu Fernandez-Villacanas). Ce dernier vient de déménager de sa maison au bord de la mer. Ils se rencontrent sur un toit représenté par une scène en pente qui recrée une sensation de vertige, à l’image de la condition psychologique des personnages, en particulier de Célestin, dont l’épanouissement personnel progressif constitue le sujet du spectacle.
Le blocage émotionnel de Célestin entrave sa relation amoureuse-amicale avec Lotte, mais un jour, le garçon reçoit en cadeau de son frère Célin (Matteo Prandi) qui se présente comme une apparition angélique, un colibri qui semble être « en torpeur ». Lotte et Célestin s’occupent du petit oiseau et le temps passé ensemble leur permet de mieux se connaître et d’évacuer le chagrin lié à ce qu’on comprend peu à peu comme étant le deuil du frère, Célestin grâce à Lotte parvient à sortir de sa torpeur similaire à celle du colibri.
Je décrirais ce spectacle avec les mêmes adjectifs que ceux avec lesquels on peut décrire un colibri dont l’essence est par nature délicate, dont les mouvements sont gracieux et dont le chant est harmonieux. C’est un spectacle extrêmement émotionnel, qui aborde de manière douce et délicate des sujets assez forts comme le deuil, ce qui n’est jamais facile à présenter aux enfants. Tout devient alors une métaphore et un monde fantastique et féerique est créé à travers lequel l’enfant peut aborder (peut-être avec le soutien d’un projet de médiation) ces thèmes existentiels. Le colibri devient alors le pont entre la vie et la mort, et à cet égard la comparaison que fait Célestin entre le poids du petit oiseau (6 grammes environ), symbole de vitalité, et le poids, selon les scientifiques, de notre souffle au moment de la mort (21 grammes environ) est intéressante.
Dans un entretien accordé lors de l’émission Vertigo (RTS), Élisa Shua Dusapin raconte elle-même l’importance des émotions dans cette histoire qui, surtout pour le jeune public, ne doit pas être comprise avec le cerveau mais avec le cœur. En effet, c’est un spectacle qui touche les cordes sensibles de chacun : les plus âgés auront peut-être la nostalgie de l’innocence qui s’en dégage, et les plus jeunes seront au contraire enchantés par les merveilleuses couleurs et les effets spéciaux comme la pluie de fleurs chatoyantes que Lotte utilise pour décorer la coquille sous laquelle repose le pauvre oiseau, ou encore la fumée qui recrée les nuages du ciel ou les vagues de la mer et dans laquelle, à la fin du spectacle, disparait l’âme de Célin avec le colibri enfin éveillé.
L’atmosphère onirique qui caractérise l’ensemble de la représentation fait penser aux séquences de danse accompagnées de musique classique dans le film d’animation Disney Fantasia (1940) où des séquences musicales sur des fonds colorés racontent l’histoire de personnages fantastiques. En reprenant les mots de Joan Mompart dans un entretien pour Cult.ge : « La musique de Christophe Sturzenegger, ce n’est pas un décor, mais un partenaire qui universalise la pièce ». Grâce à la musique de l’orchestre en direct (les représentations des 14 et 15 mai ont été interprétées par L’Orchestre du Collège de Genève) et aux gracieuses et éloquentes séquences de danse associées aux personnages de Lotte et Célin, il a été possible de rendre compréhensible à tous.x.tes le message de ce merveilleux projet d’art total, qui pourrait être résumé par une célèbre phrase de l’écrivain italien Italo Calvino : « Prenez la vie à la légère, cette légèreté n’est pas superficialité, mais glisse sur les choses d’en haut ; ne pas avoir de rochers sur le cœur ».
19 mai 2022
Par Céline Bignotti