Les Femmes Savantes

Les Femmes Savantes

Adaptation du texte de Molière / Mise en scène de Vincent Bonillo / Théâtre du Grand-Champ / Le 02 et 03 mars 2022 / critiques par Manon Lelièvre et Claire Cornaz .


Une savante alchimie, pour un résultat surprenant

14 mars 2022

© Philippe Pache

Vincent Bonillo et sa compagnie Voix Publique proposaient les dernières représentations de leur mise en scène des Femmes Savantes, les 2 et 3 mars au Théâtre de Grand-Champ à Gland. Cette réappropriation du texte de Molière remplit ses promesses. Balançant entre moments comiques et instants tragiques, la création réinterprète cette pièce en y soulevant les questionnements du metteur en scène : la place de la femme, son désir d’accéder à la connaissance, d’apprendre par elle-même et de faire ses propres choix. Vincent Bonillo, ses comédiennes et ses comédiens offrent ainsi une réactualisation des Femmes Savantes, en y apportant une interprétation où résonne la cause féminine et où l’on retrouve avec joie le texte de Molière.

Alors que le public s’installe sur une musique d’ambiance, une agente d’entretien passe un dernier coup de balai sur la scène. Trois hauts panneaux amovibles occupent le côté cour, faisant office de murs. Au fond, de larges tableaux monochromes sont suspendus et forment une paroi en quinconce. Quatre chaises sont alignées près de la sortie côté jardin. Une fois le balai passé, la femme amène un portique chargé de costumes.

À peine a-t-elle terminé sa tâche et s’est-elle installée en marge du plateau, qu’une jeune femme entre en scène, interrompant musique et discussions, réduisant la lumière à celle des projecteurs qui l’éclairent. Droite, les gestes lents et contrôlés, un silence habité et tendu, elle vient lentement s’asseoir sur l’avant-scène, puis semble attendre en observant le public. Sa raideur se remarque d’autant plus lorsqu’une seconde jeune femme entre au pas de course et la rejoint. Celle-ci, souriante, un peu gênée, s’adresse au public et lui avoue qu’elle a froid. Cette première amorce surprend un.e spectateur.rice qui attend les vers de Molière. Pourtant, elle détend imperceptiblement l’atmosphère et met ainsi le public en condition pour entrer dans l’écriture versifiée, parfois déconcertante, de la pièce.

Car les vers ne tardent pas à fuser, tandis que le personnage d’Henriette se met à la recherche d’une veste sur le portique. Immédiatement, nous sommes entraînés. Cependant, la force des comédiennes et des comédiens ne se trouve pas seulement dans la restitution claire et fidèle du texte intégral de Molière, mais surtout dans la maîtrise des silences et des intentions sous-jacentes, dans le jeu de la voix, des gestes et du corps qui se libèrent du carcan de la diction classique de l’alexandrin. De cette libération, découle une interprétation plus profonde du texte où les personnages se révèlent complexes, ni bons ni mauvais. Dévoilant leurs failles, ils permettent de créer des résonnances actuelles et tissent ainsi un lien d’identification avec les spectacteurs.rices grâce à cette savante alchimie.

La mise en scène et la direction des artistes privilégient une intensification des émotions des personnages et des thèmes soulevés par la pièce, notamment les excès de certains personnages. Le ridicule des savantes est exarcerbé lors du troisième acte, moment où Philaminte, Armande et Bélise s’extasient devant le déplorable sonnet de Trissotin. Cette exubérance grotesque imprègne l’énonciation du texte où les alexandrins s’allongent en « r » roulés, elle envahit la gestuelle qui s’alanguit et se tord en positions étonnantes, elle s’étend même jusqu’aux costumes revêtus. Colorés, composés d’éléments fantaisistes et disparates tirés du XVIIe siècle aussi bien que du XXIe siècle, ces derniers révèlent les excès dans lesquels se plongent les trois savantes et leur soi-disant bel esprit. Seul Henriette, qui ne partage pas leurs obsessions scientifiques, reste neutre, vêtue d’habits contemporains.

Cependant, l’intention transmise au public ne se cantonne pas seulement au registre comique. La détresse d’une Henriette démunie face à la décision de sa mère concernant son mariage, le désarroi d’un Clitandre qui semble ici partagé entre deux sœurs et la confusion douloureuse d’une Armande prenant conscience, trop tard, de son véritable amour pour Clitandre, sont poussés à leur comble dans ce jeu expressif. Ces moments apportent une touche imperceptiblement tragique à la comédie. Et bien que la pièce se termine avec le mariage d’Henriette et Clitandre, ces deux personnages censés représenter le juste équilibre entre corps et esprit, le doute est permis. Est-ce vraiment un dénouement heureux ? Pas pour tous, semble-t-il. Armande se retire sombrement, Philaminte est sonnée par les révélations sur Trissotin et Bélise reste enfermée dans ses ridicules obsessions. Vincent Bonillo propose ici une lecture des Femmes savantes où les frontières entre le bien et le mal, entre la mesure et la démesure deviennent floues. Aucun des personnages ne semble véritablement être l’un ou l’autre.

Nous sortons de la salle le sourire aux lèvres, ravis par cette nouvelle adaptation de Molière et indubitablement soufflés par la performance des artistes. Peut-être un peu troublés, également. Quand est-ce que Les Femmes Savantes cesseront de nous surprendre et de nous questionner ?

Jamais, espérons-le.

14 mars 2022


Des costumes qui s’effacent et des drames qui émergent

22 mars 2022

© Philippe Pache

Le théâtre de Grand-Champ accueille en ce début d’année 2022 la Cie Voix Publique et le metteur en scène Vincent Bonillo, pour une représentation des Femmes Savantes de Molière qui met l’accent sur les conflits secouant cette famille, au nom de la science et de la philosophie.

Habillée de quatre chaises, de paravents et d’un portant à vêtements sur roulettes, la scène se présente d’abord de manière propre et modeste. Pendant la première moitié de la représentation, les comédiens et comédiennes usent des costumes mis à disposition sur le portant et se changent au fil de leurs répliques. Chrysale, le père de famille, retire son costume de travail pour enfiler un jogging ; tandis que les femmes savantes – Philaminte, la mère, Bélise, la tante et Armande, la fille aînée – superposent les tenues, enfilant des robes par-dessus leurs vêtements afin de préparer leur leçon à venir avec le bel-esprit Trissotin. L’hilarité se déclenche lorsqu’enfin cette démonstration a lieu et qu’on peut admirer la manière dont les femmes savantes suivent leur héros, maquillées, les cheveux coiffés de guirlandes et portant des accoutrements excentriques, tout à fait emblématiques de l’absurdité des propos tenus par Trissotin. 

Mais dès lors que cette scène se termine, le portant à vêtements est mis de côté et le rythme soutenu de la comédie laisse place à celui, plus lent, d’un drame familial. Des papiers sont lancés avec colère, des chaises sont déplacées et des ballons éclatés, des paravents poussés à l’annonce du mariage entre Henriette et Trissotin. La propreté qui régnait sur la scène laisse place au désordre qui ronge cette famille et leur demeure.  Les femmes savantes retirent leur maquillage, retrouvent des tenues contemporaines moins extravagantes.  La douleur et le chagrin que peuvent ressentir les personnages se donne à voir, comme lorsque Clitandre et Henriette voient leur mariage compromis, ou lorsque Armande souffre de la relation entre sa sœur et son ancien prétendant. La comédie prend presque des allures de tragédie, Vincent Bonillo mettant l’accent sur les aspects les plus sombres de la pièce.

22 mars 2022


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