Arborescence programmée
Mise en scène Muriel Imbach / Théâtre de Vidy Hors-les-murs / La Grange-UNIL (Vortex) / du 16 au 20 mars 2022 / critiques par Antoine Klotz et Isabelle Fasnacht .
Silence, ça pousse !
22 mars 2022
Par Antoine Klotz
Quel est notre lien avec notre environnement ? Ce spectacle pensé pour les classes lausannoises décrypte la considération de l’être humain pour la nature et l’exploitation qu’il en fait. Un casque sur la tête permet aux spectateurs d’entendre les interrogations d’une fougère sur notre société et notre place sur cette planète. Un spectacle qui joue la carte du « connecté » tout en imposant au public un certain repli sur lui-même.
Est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment une fougère perçoit le monde ? Moi, non, et je ne sais toujours pas vraiment après avoir vu Arborescence programmée de Muriel Imbach au Vortex (UNIL). En revanche, j’ai quelques pistes concernant l’être humain et sa façon de traiter les autres êtres vivants. A notre entrée dans la salle, l’équipe technique nous remet un casque que nous devons porter pendant l’intégralité du spectacle. C’est grâce à lui que les spectateurs sont connectés au Réseau d’Enseignement Mega Intelligent (REMI), sorte d’intelligence artificielle qui met en contact les personnes entre elles dans le cadre d’une expérience novatrice dont nous sommes le groupe de contrôle. Le but premier de celle-ci reste flou car elle est vite perturbée par le retard de l’assistant Fred (Fred Ozier) puis par la soudaine découverte de la conscience d’une fougère, sujette de l’expérience. S’ensuit une discussion qui met l’être humain face à ses contradictions et ses propres rapports de domination. Pourquoi notre hégémonie sur la nature va-t-elle de soi ? C’est ce type d’idées reçues que le spectacle essaie de déconstruire afin de distiller une pensée plus respectueuse de l’environnement aux enfants.
Il faut revenir à la genèse du spectacle : Arborescence programmée est avant tout un spectacle conçu pour le jeune public, spécifiquement celui des classes lausannoises. Muriel Imbach travaille pour les enfants depuis plusieurs créations déjà et elle les intègre même dans son processus de travail. Leurs questionnements l’intéressent car souvent bien plus ancrés dans le réel que ceux des adultes. C’est pourquoi elle s’adresse à eux pour leur dire que la domination de l’homo sapiens – le spectacle martèle ce mot comme pour nous rappeler notre appartenance au monde animal – sur la nature n’est pas forcément le juste ordre des choses et qu’ils doivent être prêts à le remettre en question. Porter ce message dans les classes amène son lot de contraintes, notamment une distribution de poche avec un seul acteur sur scène qui déploie un jeu cartoonesque qui plaît aux enfants dans la salle mais dont l’humour convainc moins les adultes. Les casques en sont une autre : autant, ils sont tout à fait efficaces dans le contexte d’une classe afin de mettre en place un espace propice à l’imagination pour les enfants, autant ils enferment le spectateur sur lui-même. Ils le coupent du reste de la salle et le plongent dans la conscience de la fougère dans une bulle sonore. Alors que nous sommes censés entrer en connexion avec les autres, je me sens finalement très seul face aux questionnements du végétal.
Je pense que c’est là que se situe la limite du dispositif auditif du spectacle : il fonctionne très bien au début en tant que ressort comique avec un questionnaire donné par REMI qui rappelle les capsules de François Pérusse à la radio et en tant que dispositif d’immersion, mais il entrave la communion entre les spectateurs, ce qui me fait hésiter à rire. Je me contente donc d’un sourire amusé. De plus, il devient de plus en plus encombrant face à la conversation entre Fred et la fougère. Après tout, comment une IA pourrait-elle comprendre les relations humaines avec la nature ? D’abord relégué au rang de running gag, REMI est ainsi finalement prié de se taire et de « se mettre à jour » ce qui nous fait questionner la pertinence de son existence. Cela était sûrement tout à fait utile dans une classe afin de créer un lien entre les esprits juvéniles et le monde végétal, mais pour un spectateur plus adulte, ce lien artificiel n’était peut-être pas nécessaire. Il le coupe du reste de la salle et ne crée pas cette symbiose collective que l’on pourrait attendre d’une analogie avec la forêt qui nous est pourtant si bien décrite en introduction. Le passage de la salle de classe à la salle de spectacle mériterait quelques modifications afin de rendre l’expérience plus prenante pour le grand public. Le message, lui, est parfaitement reçu et l’on espère qu’Arborescence programmée sera le terreau fertile pour un monde plus doux.
22 mars 2022
Par Antoine Klotz
Vivre la nature dans une technologie envahissante
22 mars 2022
Le spectacle de Muriel Imbach, à l’origine conçu pour se dérouler en classe mais proposé ici au grand public, parvient à donner la parole à une intelligence artificielle, une fougère et un humain (Fred Ozier) à l’aide d’un dispositif principalement sonore. Un casque connecté est remis à chaque spectateur·rice, dans lequel seront diffusées les voix des trois personnages et des sons d’ambiance très immersifs. Les personnages, pas tous égaux, se révéleront parfois ennemis, parfois alliés et lanceront sans réellement se mouiller, assez discrètement, un débat sur notre rapport à la nature.
Le casque rabattu sur les oreilles, c’est parti, finie la discussion avec son voisin et bienvenue dans une expérience scientifique menée par REMI (Réseau d’Enseignement Méga Intelligent), une voix désincarnée typiquement « Intelligence artificielle de science-fiction » – avec un petit côté GLaDOS de la série vidéoludique Portal, mais en version bienveillante. REMI est effarée (autant que son programme lui permette de l’être) devant les connaissances bien imparfaites de son Groupe de Contrôle n° 1 (à savoir, l’assemblée) et entreprend de les compléter. Elle fait appel pour cela à une fougère, fraîchement récupérée dans la forêt de Dorigny et apportée par un livreur humain. Cet humain, Fred, se révèle presque aussi incompétent que bon vivant, mais il est honnête et ne peut s’empêcher de corriger l’IA lorsqu’elle tente de décrire une forêt sans jamais en avoir vu une. L’IA laisse faire – c’est un processus d’apprentissage acceptable, après tout – et Fred déclame sa vision de la nature, faite de sons, de sensations, de vécu… avant que la fougère ne l’interrompe à son tour. Vous ne saviez pas que les fougères parlent ?
La fougère a tôt fait de recadrer Fred, d’un ton bien dédaigneux dont elle ne se départira pas de toute la soirée. Ensemble, ils établissent une sorte de relation, jamais très adéquate, toujours un peu instable. La compréhension semble difficile pour ces deux êtres qui partagent pourtant 30% de leur ADN. Fred interroge, toujours aussi involontairement, l’anthropocentrisme qui transparaît dans chacune de ses phrases et dont la fougère s’offusque souvent. Moins bavarde, cette dernière offre parfois un aperçu de ses sensations de plante, mais toujours par petites touches, laissant entrevoir un univers aussi inconnu pour nous, humains, que le sont nos sentiments et nos sens pour REMI qui n’en possède pas. REMI est d’ailleurs régulièrement ignorée ou même repoussée lorsqu’elle tente de participer en apportant des définitions ou des explications scientifiques. S’il est vrai que la technologie n’a peut-être qu’une position passive dans le débat en cours, il est dommage de mettre autant de côté la trame narrative de « l’expérience sur le public » qui semble alors un peu artificielle. Le public réalise de ce fait qu’il n’a pas réellement d’impact sur le spectacle et retourne ainsi au statut de simple spectateur.
On pourrait reprocher à ce spectacle un discours relativement confus, un grand nombre d’idées qui ne sont parfois qu’esquissées et même un humour trop ciblé sur une certaine tranche d’âge, mais ces choix se justifient par le contexte initial de création. Lorsque le spectacle a lieu en classe, il est en effet suivi d’une discussion entre les élèves et l’équipe artistique. Il s’inscrit alors entièrement dans l’optique de réflexion sur l’anthropocène que mène le Théâtre de Vidy depuis quelques saisons. Dans sa fonction d’ouverture de débats en classe, le format de cette pièce est novateur et sans doute extrêmement efficace. Comme représentation publique en salle, elle s’adresse à un relativement jeune public et se finit un peu abruptement, laissant le public face à une constellation de sons et d’images mentales fugaces qu’il devra ensuite démêler.
22 mars 2022