Par Brian Aubert
Une critique sur le texte de la pièce :
Demolition Party / De Olivia Csiky Trnka
Olivia Csiky Trnka, dramaturge, comédienne et metteuse en scène, née en Slovaquie et ayant grandi en Suisse, a présenté sa dernière création Demolition Party au Centre Culturel Suisse à Paris en juillet et à La Bâtie-Festival à Genève en août 2021 : un récit de vie nostalgique et une tragi-comédie sur les conséquences de l’avidité humaine, dont elle nous a livré le texte.
« Il ne restait plus rien de tous les endroits où j’ai habité et j’ai eu besoin d’écrire ce texte. » Demolition Party est l’histoire d’Olivia et du jardin où elle a grandi, au Chemin de Pierrefleur n.3, à Lausanne. Elle – ou son personnage – apparaît dès la première scène, après un prologue en forme de chant épique en slovaque, français et anglais. Debout derrière un micro, elle parle au public : « On a toutes et tous un jardin quelque part […] Un lieu où on peut être un peu nous, malgré tout. » Olivia veut faire renaître sur scène le jardin de son enfance maintenant démoli, pour le commémorer et lui dire adieu en le détruisant. Elle nous invite ainsi « à célébrer ensemble, l’anniversaire de sa mort. » Les invités de cette garden party sont également sa mère, Janka Trnka, ainsi que son ami musicien américain Frank Williams et Louis Sé, son amoureux, responsable du dispositif vidéo de la pièce. Chacun est désigné par son véritable nom. Janka, parlant en slovaque et traduit simultanément par sa fille, nous décrit ce jardin. On s’imagine « une vieille balançoire avec deux kiwis qui grimpaient de chaque côté » et que « l’herbe était pleine de narcisses, de mauves, de marguerites, de tulipes ». Mais la parole ne suffit pas. Les cinq scènes suivantes font intervenir des dessins de Janka projetés en fond de plateau sur une toile, accompagnés d’une discussion entre les quatre amis sur leurs souvenirs du jardin, leurs histoires d’amour, les circonstances dans lesquelles Janka a fui la Tchécoslovaquie, ou une anecdote sur l’étymologie slovaque du mot « tomate ». Leurs paroles prennent vie sur un ton léger, avec des répliques courtes, pendant que le jardin prend forme. Frank et Louis amènent, depuis les coulisses, des pots, des arceaux, des tabourets, du feuillage, des portes-palmes, des LED, faisant de la scène un chantier. Cet environnement se peuple peu à peu de souvenirs matériels et immatériels. L’auteure manifeste une certaine nostalgie pour ce « jardin magique [qui] n’est plus » : « Il y a un rapport à la nostalgie qui est très fort, de ce monde perdu qui était facile et joyeux. », déclare-t-elle lors de l’entretien qu’elle nous accorde.
« On a toutes et tous un jardin quelque part. »
La magie s’introduit peu à peu dans le jardin et possède ses habitant.e.s. « Que la Cerisaie comme chez Tchekhov soit ! » s’exclame Frank. Et la Cerisaie fut. Tous.tes s’exclament devant sa grandeur. Notre imagination est stimulée. Louis nous dit que « Parfois, on voit même des biches ! » Des passages dans le texte sont également laissés à l’improvisation : « IMPRO ». La dramaturge commente : « J’aime laisser des endroits de liberté, car cet endroit de danger surexcite toujours le public. C’est animal, on sent qu’il y a la possibilité de la catastrophe, et ça, les gens adorent ! En mettant en jeu notre possible échec, le public se fait avoir. C’est là un des grands secrets du théâtre. »
« La création qui est entre la pulsion, l’instinct, le fantasme. »
« J’aime beaucoup travailler sur les images, je viens d’une famille qui travaille sur les arts plastiques. Je fais d’abord un travail sur l’oeil, puis sur le texte et le son, le mouvement, la danse, la performance, et en mettant tout cela ensemble au service d’une expérience. » explique Olivia Csiky Trnka. Dans la deuxième partie de la pièce, la fête d’anniversaire plutôt sage se transforme en débauche. Le chant, la danse, les rires, les bruitages d’animaux accompagnent l’ivresse des personnages. Au fil des sept tableaux, la garden party devient une Demolition Party. L’intrigue et certaines répliques de La Cerisaie d’Anton Tchekhov surgissent à intervalle réguliers : Lopakhin (incarné par Frank) veut vendre le terrain et détruire la cerisaie, et tente de convaincre le propriétaire Lioubov (joué par Janka). Les identités des personnages se brouillent. À leur tour, Louis et Olivia prennent l’allure d’Adam et Eve. Ce ne sont plus que des êtres déhistoricisés vagabondant dans ce lieu qui était auparavant leur paradis. Le jardin répond à leurs excès, des grondements se font entendre et il veut se venger. La transe finale des quatre comédiens, possédés, prédit le déluge, la revanche de la Nature sur les déboires de l’humanité. Ce que leur a donné le jardin, ils l’ont détruit par leur cupidité. C’est la revanche, la Demolition Party de l’Homme par la Nature.
« Parler de la vengeance de la Nature pendant une épidémie mondiale, c’est une excellente blague » dit Olivia avec ironie.
En attendant sa prochaine création, Zombie Zombie, qu’elle qualifie de « dispositif spectaculaire sur une création radio-filmique horrifique », Olivia a publié un livre qui accompagne la pièce. Il a été édité par sa troupe, Full PETAL Machine, laboratoire expérimental ayant donné naissance à plusieurs créations originales de la dramaturge depuis 2016, dont par exemple Protocole V.A.L.E.N.T.I.N.A. en tournée en Suisse et en France depuis 2017. Ce livre intitulé Je ne crois pas aux fantômes mais mon jardin en est plein et ma mémoire et mon cœur (réplique de Demolition Party) est composé de dessins et typographies réalisés par Janka Trnka, mêlés à des photos de Noé Cauderay prises lors des répétitions de Demolition Party au Théâtre Saint-Gervais (Genève) en août 2020. « Ce projet parallèle lutte contre l’éphémère du théâtre » annonce l’ouvrage. On n’est pourtant pas prêt de l’oublier, car la pièce sera jouée en mars 2023 au Théâtre du Pommier à Neuchâtel et sera peut-être reprise les années à venir par d’autres metteurs ou metteuses en scène : « J’adorerais ! je serais hyper heureuse de voir ça. Je n’ai absolument pas peur… C’est pour cela que j’aimerais que le texte soit édité. »