Par Maëlle Aeby
Une critique sur le spectacle :
Les Conquêtes de Norman : épisodes 1 & 2 / Texte de Sir Alan Ayckbourn / Mise en scène par Olivia Seigne et Pierric Tenthorey / Théâtre les Halles – Sierre / du 09 au19 décembre 2021 / Plus d’infos.
Actes complémentaires mais autonomes où le hors-scène n’existe plus, les deux premiers épisodes de la trilogie « Les Conquêtes de Norman » proposés par le Collectif StoGramm séduisent par un comique bien rythmé et des thématiques graves sur fond de vie quotidienne. Une histoire de famille portée par des personnages aussi insupportables que captivants ; impossible de ne pas en redemander. Cela tombe bien, il y en a encore plus !
Le Collectif StoGramm monte la trilogie The Norman Conquests, écrite en 1973 par le très célèbre et prolifique dramaturge britannique Alan Ayckbourn. À l’origine, ce ne sont donc pas deux, mais trois épisodes qui forment l’ensemble, chacun se déroulant dans différentes pièces d’une maison de campagne anglaise. Les Bonnes Manières se passe dans la salle à manger, Vivre Ensemble dans le salon et Cultiver son Jardin dans le jardin. Mais toute la particularité de l’œuvre réside dans le fait que les trois parties racontent la même histoire. Nous retrouvons les mêmes personnages, les mêmes enjeux et par-dessus tout, la même temporalité. Ainsi, toute sortie de scène d’un personnage dans un épisode correspond à une entrée de ce même personnage dans un autre épisode. Assister aux trois volets permet donc d’acquérir une vue d’ensemble, et de savoir (du moment qu’on est pourvu d’une bonne mémoire) ce qui est en train de se passer ailleurs dans la maison en même temps que ce qui se déroule devant nos yeux.
Cette délicieuse proposition qui permet au public de voir les choses sous un autre angle, révèle des dimensions supplémentaires aux quiproquos. Car le propos de la pièce se résume en une série de malentendus et de manipulations ayant pour origine les frustrations de ce conquérant de Norman. Ce dernier, séducteur immoral et infantile, est frustré de ne pas recevoir assez d’attention de la part de sa femme, Ruth, une obsédée du travail, désillusionnée. Il entreprend alors de séduire sa belle-sœur, Annie, débrouillarde esseulée restée à la maison familiale et condamnée à s’occuper de sa mère malade (cette dernière se cantonne à sa chambre, on ne la verra pas). Tom, le voisin vétérinaire extrêmement lent à la détente semble intéressé par Annie, mais n’est pas pressé d’amorcer le début d’une possible approche. Se mêlent encore à l’histoire Reg, le frère insoucieux de Ruth et Annie, et sa femme, la guindée et très émotive Sarah. Oui, ce genre de situation initiale est aujourd’hui vu et revu, cependant la complexité des personnages d’Ayckbourn fait de la trilogie une intrigue domestique rafraîchissante.
À Sierre, c’est donc tout un programme qui nous est offert ; si les épisodes — d’une durée similaire — peuvent être vus dans n’importe quel ordre et indépendamment l’un de l’autre, il est également possible d’enchaîner les deux dans le même après-midi.
14:00, recto – une longue table, un tapis, des chaises, un buffet, une armoire, mais surtout, une porte vitrée donnant sur le jardin. Le public découvre un décor de salle à manger standard tout à fait vraisemblable. C’est dans cet espace que virevoltent, pendant une heure et quarante minutes, les personnages et les crackers.
16:00, Break Tea Time – le public et les comédiens qui assistent, et participent aux deux épisodes se retrouvent dans le foyer du théâtre.
17:00, verso – le décor de maison de campagne a été pivoté à 180°, ce sont désormais les murs extérieurs qui font face au public, entourés d’un jardin verdoyant agrémenté de quelques arbres et autres meubles de jardin. Une porte vitrée mène à la salle à manger.
Un verbe drôle, une construction multidimensionnelle de l’action peu commune, et des histoires subtilement entremêlées font de cet ouvrage d’Ayckbourn une comédie qui conquiert. L’adaptation que nous propose le Collectif StoGramm s’illustre particulièrement dans la qualité des prestations fournies par les comédiens qui témoigne d’un travail d’attitudes méticuleux. Et si les traits sont quelquefois grossis, c’est aussi ce qui rend les personnages si fascinants. Enfin, Les Conquêtes de Norman permettent de satisfaire la curiosité de certain.e.s spectateur·rice·s qui, tout en découvrant l’univers d’une pièce, se demandent ce qui s’y passe avant, après, et même ailleurs.