Le bruit des loups
Mise en scène par Etienne Saglio / Comédie de Genève / du 15 au 22 décembre 2021 / Critiques par Hugo Merzeau et Brian Aubert .
Un retour en enfance sans désillusion
15 décembre 2021
Par Hugo Merzeau
Etienne Saglio, considéré comme une référence en magie nouvelle, propose avec Le bruit des loups une nouvelle exploration magique de nos imaginaires. Techniques scéniques, technologies et magies sont au service d’un voyage entre enfance et âge adulte, qui se joue de la frontière entre imagination et mémoire. Si vous n’avez pas peur des géants, de la révolte des plantes ou des loups, ce spectacle, qui ne tombe jamais dans l’étalage technique, vous enchantera et quand bien même auriez-vous peur, le voyage n’en sera que plus captivant !
Une lumière latérale projette une ombre depuis la coulisse à cour pour laisser apparaître… une marionnette de renard au garrot qui traîne négligemment derrière elle un panneau. Elle se tourne vers le public, en présentant son panneau sur lequel trône un symbole priant d’éteindre les téléphones. Les rires retentissent déjà devant cette création d’Etienne Saglio qui nous plongera, à l’aide d’un arsenal technique varié, dans un imaginaire sylvestre aussi riche en émotions qu’ouvert narrativement.Le spectacle joue de la tension entre intérieur et extérieur, comme un dialogue entre sauvage et domestique, réel et imaginaire. La succession des décors incarne cette tension. L’immersion dans l’univers illusionniste et féérique de ce spectacle débute dans un espace scénique délimité sur ses trois côtés par des murs. Au sol, un damier dont les perspectives jouent déjà avec la profondeur que des effets de lumières viendront accentuer par la suite. Au fond, une porte, en apparence anodine, renferme plus qu’un simple placard. Au centre, Etienne Saglio (en alternance avec Vasil Tasevski) debout, qui s’affaire autour d’un ficus dont les feuilles tombent et se dédoublent à l’infini. Ce premier décor voit le comédien se débattre avec ses plantes et des animaux qui apparaissent, comme une souris ou un furet (à moins que cela ne soit une hermine). Des marionnettes aux hologrammes, les outils de l’illusion sont multiples et les animaux tantôt réels, tantôt projetés. Le second décor, que nous apercevons par la petite porte du fond, avant que les murs ne tombent complétement, est une forêt dont les limites nous échappent. Cette transition se fait en plusieurs fois, en plusieurs réminiscences, car cette tension entre espace domestique et sauvage se double d’une alternance entre l’enfance et l’âge adulte, avec le changement physique du comédien qui devient un enfant (Bastien Lambert en alternance avec Murielle Martinelli). Cette confusion entre imaginaire et réel, joue aussi avec l’espace mnésique à travers les illusions autour de la transition physique entre adulte et enfant. Ce n’est pas un simple noir ou des entrées et sorties de scène qui marquent ces changements, mais un jeu optique de grossissement ou de rétrécissement. L’enfant explore un monde magique peuplé d’un géant (Guillaume Delaunay), d’un loup ou encore d’une plante anthropomorphe (si, si, je vous assure) tandis que l’adulte se débat avec son ficus et son balai pour tenter de maintenir un semblant d’ordre.
La succession de ces allers-retours est ponctuée par la marionnette renard qui a décidemment une vie très riche car elle sera tour à tour bûcheronne, chasseuse ou encore voltigeuse. Au-delà de l’aspect pratique de ces apparitions en avant-scène qui permettent des changements scéniques en fond, ces intermèdes sont de véritables bouffées d’oxygène, tant le rire est contagieux à sa seule vue. Elles sont particulièrement les bienvenues car les coups de tonnerre nous rattrapent vite, replongeant le spectacle dans ce monde magique à la frontière entre rêve et cauchemar. Preuve de la force du travail technique et théâtral autour de l’illusion et de la magie nouvelle qui nous plonge, à l’aide des sons, des images et même des odeurs, dans un univers mêlant humour, féérie et effroi ! Les émotions se succèdent, les techniques, la scénographie et les comédiens réussissent à nous plonger en immersion. Si l’absence totale de parole et la succession d’actions faiblement reliées les unes aux autres laissent la porte grande ouverte à l’imaginaire des spectateurs, elle les abandonne, aussi, à leur seule imagination.
15 décembre 2021
Par Hugo Merzeau
15 décembre 2021
Par Brian Aubert
Etienne Saglio et sa compagnie Monstre(s) proposent un spectacle de magie, sans paroles, présenté dans la Grande Salle de la Comédie de Genève. Il faut l’avoir vu pour y croire… et encore.
Sur un sol en damier blanc et noir, bordé de murs avec une porte en fond de scène, apparaît Etienne Saglio (ou en alternance, selon les dates, Vasil Tasevski). Des feuilles d’arbres, bien que balayées par le personnage, continuent à s’accumuler sur scène. Des souris surgissent. Une plante bouge. Une marionnette entre en avant-scène, tenant une pancarte où on peut lire “Flashback”. La mélodie, au piano, de la comptine Promenons-nous dans les bois envoûte la Grande Salle. Noir. Une forêt mystérieuse apparaît sur scène. Elle se révèle peuplée d’animaux sauvages et de créatures extraordinaires, d’un loup et d’un géant (Guillaume Delaunay). L’adulte devient un enfant (joué par Bastien Lambert). Grondements de tonnerre.
Formé à l’art du cirque, Etienne Saglio est l’une des figures principales de la « magie nouvelle », apparue au début des années 2000, qui vise à créer un nouveau langage d’arts vivants. Ses spectacles sont un melting pot où se retrouvent l’art de la marionnette, de la musique, de la littérature, du cirque et de l’illusion. Le dispositif colossal mis en place ici pour assurer ces illusions visuelles, accompagné d’une ambiance musicale omniprésente, vise à favoriser l’immersion des spectateurs dans un univers onirique, même si, happé par la virtuosité des tours, qui semblent échapper au réel, ces derniers ne cessent de se demander « Comment ont-ils fait ? ». La maîtrise avec laquelle est manipulée cette machine à illusions et à surprise est déconcertante. Entre les effets, en contemplant ces personnages qui se meuvent dans ce monde surnaturel, apparaissant, puis disparaissant, on peut toutefois être amené à s’interroger sur ce qui est censé faire sens dans ce spectacle ouvert à l’interprétation. Sans doute propose-t-il de confronter le public à certaines de ses peurs irrationnelles issues de l’enfance : peur de la forêt, du noir, du tonnerre, des loups… C’est l’atmosphère parfois cauchemardesque qui donne l’impression d’être pris dans un rêve où ces peurs se concrétisent. Au service de la beauté et de la magie, cette poésie contient peu de pistes narratives : certains pourraient, pour cette raison, avoir du mal à y adhérer et à s’identifier aux émotions des personnages. Si les effets d’émerveillement et de surprise étaient liés par une trame plus évidente, nous aurions sans doute été encore plus touché et ému.
15 décembre 2021
Par Brian Aubert