Versant Rupal
Mise en scène par Olivier Werner / Le Pommier – Neuchâtel / du 16 au 18 novembre 2021 / Critiques par Hugo Merzeau et Maëlle Aeby .
16 novembre 2021
Par Hugo Merzeau
Les voix de l’imaginaire : entre chorale et folie
Le spectacle de Mali van Valenberg fait le récit d’un épisode devenu un mythe dans le monde de l’alpinisme mais également un scandale pendant plus de 35 ans, la première ascension du Nanga Parbat, sommet de la chaine himalayenne culminant à 8125 mètres, réalisée par les frères Günther et Reinhold Messner en 1970. Pour raconter cette histoire elle détriple la voix de Reinhold Messner par la mise en scène de trois comédien.ne.s dont les échos font résonner, au rythme de la musique live, toute la légende et la folie de cette aventure.
L’aventure est folle. L’idée pour la représenter est simple : incarner la subjectivité de Reinhold Messner en démultipliant les voix. Pierre-Isaïe Duc, Céline Goormaghtigh et Mali van Valenberg sont les figures de cette chorale qui nous raconte l’ascension. Ils sont accompagnés avec brio par l’ambiance sonore et musicale de Didier Métrailler. Ce spectacle repose bien plus sur l’ouïe que sur la vue. Une scénographie digne de Pierre Soulage propose un dispositif représentant le Nanga Parbat déstructuré en de multiples éléments de tôles froissés noires entre lesquels les comédien.ne.s peuvent circuler, un tabouret ou deux et les instruments de musique en fond de scène. Un décor épuré. Le statisme des comédien.ne.s répond à la simplicité du décor dans la création d’un ensemble qui tisse la toile de fond sur laquelle les voix, dans leur narrations et leurs émotions, peuvent s’envoler.
En effet, la force de ce spectacle réside dans la force de l’expression narrative de ce récit. L’ambiance sonore et visuelle vient soutenir un trio de voix qui transporte le public au plus près d’une subjectivité qui dégringole dans ses propres méandres face à la montagne. La voix de Reinhold Messer, incarné par Pierre-Isaïe Duc, vante la nécessité d’un imaginaire fécond comme première qualité pour un alpiniste. Pour transmettre cette puissance intérieure au public, la mise en scène joue sur le rythme, l’écho de dédoublement voire de détriplement de la parole pour exprimer tour à tour la splendeur de l’Himalaya et du Nanga Parbat, des dangers, de l’exploit physique ou de la folie dans les instants les plus sombres et vertigineux de cette ascension. Reinhold Messner est devenu par la suite un des plus grands alpinistes de l’histoire en ayant grimpé les quatorze 8’000, dont l’Everest sans oxygène, mais ce spectacle raconte le premier de ces exploits, avant qu’il ne soit devenu un « surhomme » aux yeux du monde. Or cette ascension a deux faces explorées par deux hommes et leur intériorité, car il ne parvient pas seul au sommet. Son frère l’accompagne. Seulement voilà, si l’ascension s’est bien déroulée, la descente sera pavée d’embûches autant physiques que psychiques : le manque d’oxygène, la faim, la soif, la souffrance d’un frère. Autant de traumatismes que le trio de comédien.nes retranscrit par la voix et la musique de Didier Métrailler. Le Nanga Parbat se montre sous différents jours par les jeux d’éclairage sur le dispositif en tôle et par l’utilisation de fumée.
Ainsi, l’imagination des spectateur.trice.s a tous les éléments nécessaires pour investir cet imaginaire himalayen. Car s’il s’agit du récit de l’ascension du Nanga Parbat c’est bien plus une tranche de la vie la plus intime d’un être humain que l’écriture de Mali van Valenberg retranscrit et à laquelle la performance scénique donne corps. Les voix d’un imaginaire montagnard livrent une bouffée d’oxygène face à nos propres vertiges tant l’horreur est palpable.
16 novembre 2021
Par Hugo Merzeau
16 novembre 2021
Par Maëlle Aeby
Il lutte donc il vit
Récit d’aventure à grands frissons, la tragique histoire de l’ascension du sommet Nanga Parbat par les frères Messner plante son décor dans les théâtres suisse romands. Soutenu par un paysage sonore onirique produit en live, ce monologue à trois voix entraîne les spectateurs au cœur d’une expédition réelle et lui fait découvrir un panorama d’émotions rythmé par la folie des hauteurs.
Cette création est le huitième projet de la compagnie sierroise Jusqu’à m’y fondre, souhaitant partager avec le public des petites bulles d’explorations intérieures. Après avoir découvert l’épopée du Nanga Parbat, aussi miraculeuse que malheureuse, Mali Van Valenberg entame l’écriture du texte. C’est sous forme d’un récit choral énoncé en trio que font écho les pensées du protagoniste Reinhold Messner. Devenu alpiniste de légende, il a marqué la discipline en poussant les limites du corps humain tout au long du XXe siècle ; il est, par exemple, le premier à avoir gravi chacun des quatorze sommets de plus de 8’000 mètres existants. Dans « Versant Rupal », c’est l’expédition du 27 juin 1970 qui est narrée en quelque 90 minutes, celle-là même qui sera le sujet d’une polémique pendant près de 30 ans, période durant laquelle la parole du grimpeur est sévèrement mise en doute : on ne croit pas à sa version des faits, on questionne le déroulement des évènements. Au théâtre, c’est la vérité que nous découvrons puisque des preuves matérielles ont finalement été retrouvées sur place des années après l’ascension originelle, corroborant ainsi les dires de Messner.
Un sommet métallique fait face au public, la montagne morcelée trône au milieu des planches. Les trois interprètes sont déjà sur scène. Ils attendent. Le public attend. L’expédition attend. Et puis finalement, Reinhold Messner se décide à entreprendre seul la montée vers le sommet pakistanais culminant à 8125 mètres, en empruntant le versant Rupal. Il est ensuite rattrapé par Günther Messner, son petit frère, et c’est à deux qu’ils parviendront tant bien que mal à gravir la montagne. Ce n’est pourtant que le début.
À coup de lumière froide et de machine à fumée, le calvaire de la descente est efficacement figuré. Ponctué d’éclaircissements optimistes, l’environnement se métamorphose au fil de la progression mais la montagne, elle, reste immuable. Le décor est statique et pourtant, le texte nous emporte loin. Chaque choix, chaque erreur commise par les alpinistes, chaque victoire aussi infime qu’elle soit cramponne le public et le tient en haleine. Sont alors évidentes et la force de l’écriture, et la technicité des conteurs. Ce texte particulièrement éblouissant qui coule de la bouche des comédiens avec une facilité étonnante nous plonge dans la tête de Reinhold et nous livre les coulisses d’un esprit éprouvé, luttant contre le manque d’oxygène et l’intransigeance de la nature. La diction claire, aussi douce que ferme de Pierre-Isaïe Duc, Céline Goormaghtigh et Mali Van Valenberg fragmente le protagoniste et illustre ses conflits internes. Sans oublier non plus le travail du percussionniste Didier Métrailler, qui agrémente le tout d’une ambiance sonore épousant à merveille les reliefs du récit.
L’expérience proposée par la compagnie Jusqu’à m’y fondre, hantée par l’authenticité des faits, saisit par sa capacité à nous transporter dans le vif de l’expédition. Parole d’une novice de l’alpinisme : on ne peut qu’être emporté par la puissance d’une histoire aussi bien racontée.
16 novembre 2021
Par Maëlle Aeby