Par Maëlle Aeby
Une critique sur le spectacle :
Miss None / Texte de Guillaume Poix / Mise en scène par Manon Krüttli & Céline Nidegger / Théâtre du Grütli / 2-14 novembre 2021 / Plus d’infos.
Véritable invitation du cinéma sur les planches, la création de Manon Krüttli et Céline Nidegger invite le public à découvrir un célèbre et mystérieux figurant : Ariel A. Winthrop. Croisée avec la narration d’une comédienne de second plan et d’un fait divers tragique, c’est autour du thème de la disparition que cette enquête met en lumière ceux qu’on ne voit pas. Morcelée mais bien ficelée, Miss None est une ode à ceux qui disparaissent, ceux que l’on fait disparaitre, et ceux qui n’apparaissent jamais.
C’est un projet en deux temps qui est à l’origine de cette pièce, dont le premier volet s’est matérialisé par Généalogie Léger en septembre 2020. Ce dernier s’inspire d’un livre de Nathalie Léger Supplément à la vie de Barbara Loden, dans lequel l’autrice raconte les difficultés qu’elle rencontre lorsque, mandatée afin d’écrire une notice bibliographique sur Loden et son film Wanda, elle se plonge dans des recherches sur la vie de l’actrice-réalisatrice. Les deux enquêtes, Généalogie Léger et Miss None, interrogent le cinéma, les artistes et leurs œuvres, leurs personnages, ainsi que la subjectivité de l’individu qui s’y intéresse de plus près.
La pièce s’ouvre sur la projection vidéo d’une interview de l’actrice Nicole Garcia détaillant le premier plan du film autobiographique d’Ariel Winthrop : « A Man Off-Season ». Et c’est exactement ce même entretien qui clôturera le spectacle quelques 100 minutes plus tard et pourtant, on l’entendra alors d’une toute autre manière. Les enquêtrices révélatrices, ce sont quatre comédiennes — Céline Nidegger, Aline Papin, Nora Steinig et Lucie Zelger — qui nous dévoilent ce fameux figurant fécond, toutes parées à l’identique, des talons scintillants à la perruque blonde. Elles évoluent devant et parmi des toiles géantes qui tombent une à une, révélant par tranches les différents décors dans une trajectoire partant de l’avant-scène et terminant à l’arrière. C’est donc à l’instar du décor que progresse cette étude du professionnel du geste anodin qui a tout de même ponctué 117 chefs d’œuvres du cinéma. De Martin Scorsese à Woody Allen en passant par Spielberg et Hitchcock, tous les plus grand se l’arrachent. Et enfin, après la réalisation de son film qui ne sortira finalement jamais, Winthrop disparait.
Et l’on s’y prend facilement, à cette quête de l’Homme Furtif ! On veut en savoir plus, comprendre, l’apercevoir. Comme le dit explicitement la pièce, lui dont la fonction est de se fondre dans le décor devient ici acteur principal. On le découvre par morceaux, on ne voit jamais son visage. Mais selon quelle autorité devient-on un maître de l’action banale ? Comment et pourquoi se contenter d’apparitions furtives tout au long de sa carrière ? Pourquoi décider de finalement l’arrêter ? La pièce déroule des éléments de la vie de Winthrop et questionne dans un même élan ce que c’est d’« être » dans la société, d’« être » dans sa profession, de faire « être » en racontant par l’art, et c’est dignement que l’on rencontre ceux qui ne sont jamais vraiment.
Un ciel nuageux, un morceau de chambre, une plage, des pendrillons couvrant puis dévoilant à nouveau les comédiennes, chaque plan enveloppé dans un jeu de lumières brillant : la scénographie, toute en légèreté, soutien l’enquête et la rythme admirablement. Ce qui pèse lourd, en revanche, c’est un texte caractérisé par l’insistance sur la description exhaustive des évènements ; on va au bout, on mentionne tout et on répète, beaucoup. Mais dans cette démarche de convocation du 7ème art chez le 6ème, on pardonne l’abus permettant une traduction fidèle d’un médium à l’autre, et on règle la focale sur l’arrière-plan.