Par Hugo Merzeau
Une critique sur le spectacle :
Versant Rupal / Mise en scène par Olivier Werner / Le Pommier – Neuchâtel / du 16 au 18 novembre / Plus d’infos.
Le spectacle de Mali van Valenberg fait le récit d’un épisode devenu un mythe dans le monde de l’alpinisme mais également un scandale pendant plus de 35 ans, la première ascension du Nanga Parbat, sommet de la chaine himalayenne culminant à 8125 mètres, réalisée par les frères Günther et Reinhold Messner en 1970. Pour raconter cette histoire elle détriple la voix de Reinhold Messner par la mise en scène de trois comédien.ne.s dont les échos font résonner, au rythme de la musique live, toute la légende et la folie de cette aventure.
L’aventure est folle. L’idée pour la représenter est simple : incarner la subjectivité de Reinhold Messner en démultipliant les voix. Pierre-Isaïe Duc, Céline Goormaghtigh et Mali van Valenberg sont les figures de cette chorale qui nous raconte l’ascension. Ils sont accompagnés avec brio par l’ambiance sonore et musicale de Didier Métrailler. Ce spectacle repose bien plus sur l’ouïe que sur la vue. Une scénographie digne de Pierre Soulage propose un dispositif représentant le Nanga Parbat déstructuré en de multiples éléments de tôles froissés noires entre lesquels les comédien.ne.s peuvent circuler, un tabouret ou deux et les instruments de musique en fond de scène. Un décor épuré. Le statisme des comédien.ne.s répond à la simplicité du décor dans la création d’un ensemble qui tisse la toile de fond sur laquelle les voix, dans leur narrations et leurs émotions, peuvent s’envoler.
En effet, la force de ce spectacle réside dans la force de l’expression narrative de ce récit. L’ambiance sonore et visuelle vient soutenir un trio de voix qui transporte le public au plus près d’une subjectivité qui dégringole dans ses propres méandres face à la montagne. La voix de Reinhold Messer, incarné par Pierre-Isaïe Duc, vante la nécessité d’un imaginaire fécond comme première qualité pour un alpiniste. Pour transmettre cette puissance intérieure au public, la mise en scène joue sur le rythme, l’écho de dédoublement voire de détriplement de la parole pour exprimer tour à tour la splendeur de l’Himalaya et du Nanga Parbat, des dangers, de l’exploit physique ou de la folie dans les instants les plus sombres et vertigineux de cette ascension. Reinhold Messner est devenu par la suite un des plus grands alpinistes de l’histoire en ayant grimpé les quatorze 8’000, dont l’Everest sans oxygène, mais ce spectacle raconte le premier de ces exploits, avant qu’il ne soit devenu un « surhomme » aux yeux du monde. Or cette ascension a deux faces explorées par deux hommes et leur intériorité, car il ne parvient pas seul au sommet. Son frère l’accompagne. Seulement voilà, si l’ascension s’est bien déroulée, la descente sera pavée d’embûches autant physiques que psychiques : le manque d’oxygène, la faim, la soif, la souffrance d’un frère. Autant de traumatismes que le trio de comédien.nes retranscrit par la voix et la musique de Didier Métrailler. Le Nanga Parbat se montre sous différents jours par les jeux d’éclairage sur le dispositif en tôle et par l’utilisation de fumée.
Ainsi, l’imagination des spectateur.trice.s a tous les éléments nécessaires pour investir cet imaginaire himalayen. Car s’il s’agit du récit de l’ascension du Nanga Parbat c’est bien plus une tranche de la vie la plus intime d’un être humain que l’écriture de Mali van Valenberg retranscrit et à laquelle la performance scénique donne corps. Les voix d’un imaginaire montagnard livrent une bouffée d’oxygène face à nos propres vertiges tant l’horreur est palpable.