Par Maëlle Aeby
Une critique sur le spectacle :
Versant Rupal / Mise en scène par Olivier Werner / Le Pommier – Neuchâtel / du 16 au 18 novembre / Plus d’infos.
Récit d’aventure à grands frissons, la tragique histoire de l’ascension du sommet Nanga Parbat par les frères Messner plante son décor dans les théâtres suisse romands. Soutenu par un paysage sonore onirique produit en live, ce monologue à trois voix entraîne les spectateurs au cœur d’une expédition réelle et lui fait découvrir un panorama d’émotions rythmé par la folie des hauteurs.
Cette création est le huitième projet de la compagnie sierroise Jusqu’à m’y fondre, souhaitant partager avec le public des petites bulles d’explorations intérieures. Après avoir découvert l’épopée du Nanga Parbat, aussi miraculeuse que malheureuse, Mali Van Valenberg entame l’écriture du texte. C’est sous forme d’un récit choral énoncé en trio que font écho les pensées du protagoniste Reinhold Messner. Devenu alpiniste de légende, il a marqué la discipline en poussant les limites du corps humain tout au long du XXe siècle ; il est, par exemple, le premier à avoir gravi chacun des quatorze sommets de plus de 8’000 mètres existants. Dans « Versant Rupal », c’est l’expédition du 27 juin 1970 qui est narrée en quelque 90 minutes, celle-là même qui sera le sujet d’une polémique pendant près de 30 ans, période durant laquelle la parole du grimpeur est sévèrement mise en doute : on ne croit pas à sa version des faits, on questionne le déroulement des évènements. Au théâtre, c’est la vérité que nous découvrons puisque des preuves matérielles ont finalement été retrouvées sur place des années après l’ascension originelle, corroborant ainsi les dires de Messner.
Un sommet métallique fait face au public, la montagne morcelée trône au milieu des planches. Les trois interprètes sont déjà sur scène. Ils attendent. Le public attend. L’expédition attend. Et puis finalement, Reinhold Messner se décide à entreprendre seul la montée vers le sommet pakistanais culminant à 8125 mètres, en empruntant le versant Rupal. Il est ensuite rattrapé par Günther Messner, son petit frère, et c’est à deux qu’ils parviendront tant bien que mal à gravir la montagne. Ce n’est pourtant que le début.
À coup de lumière froide et de machine à fumée, le calvaire de la descente est efficacement figuré. Ponctué d’éclaircissements optimistes, l’environnement se métamorphose au fil de la progression mais la montagne, elle, reste immuable. Le décor est statique et pourtant, le texte nous emporte loin. Chaque choix, chaque erreur commise par les alpinistes, chaque victoire aussi infime qu’elle soit cramponne le public et le tient en haleine. Sont alors évidentes et la force de l’écriture, et la technicité des conteurs. Ce texte particulièrement éblouissant qui coule de la bouche des comédiens avec une facilité étonnante nous plonge dans la tête de Reinhold et nous livre les coulisses d’un esprit éprouvé, luttant contre le manque d’oxygène et l’intransigeance de la nature. La diction claire, aussi douce que ferme de Pierre-Isaïe Duc, Céline Goormaghtigh et Mali Van Valenberg fragmente le protagoniste et illustre ses conflits internes. Sans oublier non plus le travail du percussionniste Didier Métrailler, qui agrémente le tout d’une ambiance sonore épousant à merveille les reliefs du récit.
L’expérience proposée par la compagnie Jusqu’à m’y fondre, hantée par l’authenticité des faits, saisit par sa capacité à nous transporter dans le vif de l’expédition. Parole d’une novice de l’alpinisme : on ne peut qu’être emporté par la puissance d’une histoire aussi bien racontée.