Qui a dit que les arcs-en-ciel n’existaient pas ?

Par Ariane Mariot

Une critique sur le spectacle :

Biais aller-retour / Texte et mise en scène de Steven Matthews/ Compagnie Don’t Stop Me Now / Théâtre Am Stram Gram / du 1 au 10 octobre 2021 / Plus d’infos

© Ariane Catton Balabeau

Début octobre, le Théâtre Am Stram Gram invitait le comédien et metteur en scène Steven Matthews, avec sa compagnie Don’t Stop Me Now, pour présenter une fable tendre, drôle et percutante, pleine d’inventivité, qui transporte le spectateur dans un monde onirique pour aborder des problématiques sociales actuelles. Une occasion de passer un agréable moment en famille.

Le spectacle commence après quelques mots de Joan Mompart, le nouveau directeur du théâtre Am Stram Gram. Mathieu, jeune garçon de onze ans part à la recherche d’un trésor dans le but de pouvoir payer la maison de retraite de sa grand-mère, qui ne peut plus vivre seule. Ce trésor se trouve, il en est certain, au pied d’un arc-en-ciel, au milieu d’un cimetière. Il emmène avec lui la grand-mère en question, qui oublie tout, mais qui lui a raconté l’histoire de deux déesses : celle de la liberté, qui vivait pour le présent, et celle de la sécurité, qui vivait pour le futur. Un jour, dit l’histoire, il se mit à pleuvoir chez l’une et à faire grand beau chez l’autre. Ces événements météorologiques les firent se rencontrer et elles tombèrent amoureuses. De cet amour naquit un arc-en-ciel, au pied duquel se trouve un trésor, mais aussi notre civilisation, sans cesse tiraillée entre sécurité et liberté.

« – Mathieu, on va où ?

– Au pied.

– Quel pied ?

– Le pied de l’arc-en-ciel, celui que j’ai vu par la fenêtre de la classe cet après-midi. »

La grand-mère et son petit-fils sont surpris en train de creuser un trou entre deux tombes du cimetière. Ils  se font arrêter par la police et emmener manu militari au tribunal. Le spectacle présente dès lors l’audience du tribunal, entrecoupée de scènes montrant la reconstitution d’événements passés, qui permettent d’avancer dans la compréhension de l’intrigue.  La vision de l’enfant est au centre de ce spectacle, qui construit aussi, en rapportant tous les bruits qu’a suscitée l’affaire, une critique de la communication biaisée qui régule notre société, sous l’influence des réseaux sociaux notamment. Lorsque Mathieu doit réagir aux questions du juge, la scène montre  les solutions possibles qui lui viennent à l’esprit, les moyens de s’en sortir malgré tout… et c’est drôle, très drôle, car tout va très vite, sur un mode burlesque. Les spectateurs découvrent les biais, les raccourcis que prend le cerveau, ces idées toutes faites, qu’il met en place pour construire sa propre vision du monde.

« Tu penses savoir que la Terre est ronde, c’est bien, mais savoir COMMENT on sait que la Terre est ronde, c’est mieux, et savoir que je ne sais pas comment on sait que la Terre est ronde… c’est la base. »

Un écrin permet de magnifier cette comédie humaine : le décor est sobre, simple, efficace. Deux plans inclinés organisent l’espace : la chambre de Mathieu, la cuisine familiale, le tribunal, le cimetière et son caveau… le tout modelé grâce à une lumière protéiforme. Les jeux de lumières sont traités comme un médium à part entière. Ils offrent des tableaux étonnants, vibrants. Tantôt effets fluorescents pour faire vivre les neurones du cerveau de Mathieu, tantôt lumière saccadée pour rythmer une course poursuite ou lustre à pampilles réagissant au son du marteau du juge. En fond de scène, les personnages apparaissent en ombres chinoises lors de leurs déplacements. On se croirait presque dans une bande dessinée en mouvement. La proposition est tout aussi variée en matière sonore : chants, textes mi chantés – mi parlés, musiques entrainantes, bruitages comiques et surprenants.

Steven Matthews et les comédiens Mathilde Soutter, Lorin Kopp, Mirko Verdesca, Maud Faucherre, Mathieu Fernandez, Verena Lopes et Gaspard Boesch apportent chacun leur pierre personnelle à l’édifice humoristique du spectacle, en montrant sur scène leur amusement à jouer. Les enfants présents dans la salle sont happés par l’histoire dès les premiers instants. L’ambiance poétique de cette fable traite un sujet peu conventionnel, issu des neurosciences, de manière pragmatique et ludique. Un spectacle familial par excellence avec plusieurs niveaux de compréhension, du comique clownesque pour faire rire les plus petits, des influenceuses parodiées pour les adolescents, des références à des séries télévisées pour les parents. Et un peu de science quand même pour comprendre comment les arcs-en-ciel peuvent apparaître dans un théâtre, comme par magie.