Quête
Mise en scène par Juliette Vernerey / TPR – La Chaux-de-Fonds / du 21 au 26 octobre 2021 / Critiques par Nathan Maggetti et Hugo Merzeau .
21 octobre 2021
Par Nathan Maggetti
Une Quête sans queue ni tête
Contre une herméneutique symboliste de la quête du Graal, la compagnie L’impolie propose un autre récit, démystifié, des aventures des chevaliers de la Table ronde. Mis en scène par Juliette Vernerey, le spectacle entend, comme L’Enchanteur de René Barjavel dont il est une adaptation libre, réactualiser la légende médiévale : interprétation musicale et pantomimique des chansons de geste, il en est surtout une relecture absurde, qui joue avec son matériau comme avec l’espace scénique. Une Quête dont l’aboutissement ne réside pas dans l’achèvement, mais dans le déploiement énergique et comique.
Dans la salle du Temple Allemand de La Chaux-de-Fonds, six personnages arrivent l’un après l’autre, déclinant un panel vestimentaire aussi large que fantaisiste : jeans, survêtements et shorts de sport s’associent aux diadèmes, capes et épées de bois. Le personnel de la Table ronde (car c’est bien lui) nous confie son regret de la défection de Galaad, préposé à la quête du Graal. Sans lui, la tournure en sera toute autre : comme si le protagoniste absent en avait emporté avec lui la cohérence et le sérieux, elle se mue en un bricolage absurde, en tout point subvertie. À commencer bien sûr par ses héros et héroïnes intérimaires, dont les noms et caractéristiques fantaisistes rivalisent avec l’accoutrement. Entre le roi Artus, moins bon leader que flûtiste jazz, le versatile enchanteur Merlijn, Vivianeu, muette et télépathe qui cite du Barjavel (en voix off), la bondissante et enamourée Guenevevièvre, le sauroctone Lancelote à l’accent germano-loufoque et son téméraire palefrenier, l’équipe ne manque ni de ressources, ni d’excentricité.
Ce qui lui manque en sérieux, la quête le gagne en intensité. Les épisodes qui en sont joués – affrontement d’un dragon, traversée d’une rivière, rencontre d’un ermite, … – sont tour à tour, et parfois simultanément, empreints d’une frénésie comique et d’une recherche esthétique visuelle. Le spectacle est rythmé de bout en bout par un accompagnement sonore aussi énergique qu’éclectique – des chants grégoriens à la techno, en passant par d’inévitables morceaux de musique épique. Sur ce fond musical, scènes d’action, « tableaux », chorégraphies et changements de décor (déconstruit pas les acteurs et actrices puis reconstruit, toujours avec les mêmes éléments) s’enchaînent, sous un éclairage remarquable de variation et d’inventivité.
Le plus plaisant de cette subversion absurde et déjantée de la quête du Graal en est peut-être l’abandon d’un sens métaphysique. Focalisée sur les humains de l’aventure plus que sur les héros, comme l’était L’Enchanteur de Barjavel (dont est d’ailleurs repris le goût de l’anachronisme), Quête va plus loin en refusant, dans son effervescence jouissive, de nous mener ailleurs que dans la plénitude du présent, son épaisseur et son incompréhensibilité. De cette aventure, en somme, la destination importe peu : seul le trajet, justement peut-être par son absence de sens, sait ravir les nôtres.
21 octobre 2021
Par Nathan Maggetti
21 octobre 2021
Par Hugo Merzeau
Musique pour une quête désancrée !
La jeune compagnie de L’impolie propose une réinterprétation du mythe de la quête du Graal en s’inspirant du roman L’Enchanteur de René Barjavel. Juliette Vernerey met en scène un spectacle dynamique et enjoué qui prolonge l’actualisation de la tradition arthurienne entrepris par Barjavel. Des costumes à la musique, Quête danse à contre-temps sans jamais tomber à plat. Merlijn, prophète, et Vivianeu, narratrice, maintiennent le groupe, pas toujours discipliné, sur la piste du Graal, sous les rires du public.
Une scène nue, à l’exception de quelques accessoires, accueille les spectateurs dans la salle du Temple Allemand, à La Chaux-de-Fonds, pour ce projet coproduit, entre autres, par le TPR et le Théâtre de l’ABC. Le choix de ce dénuement donne le champ libre aux corps des six membres du groupe : Merlijn, enchanteur et prophète, sert de guide dans la traque du Graal. Vivianeu, muette mais télépathe, s’adresse directement au public en voix off. Le roi Artus joue de la flûte. Lancelote, chevalier et grand tueur de dragons, aime passionnément Guenevevièvre. La reine, farouche guerrière et seule lectrice de vieux françois, le lui rend bien. Enfin, le palefrenier, courageux parmi les courageux, agit comme l’ombre du chevalier Lancelote. Ce groupe peu chevaleresque dans sa composition souffre de l’absence du seigneur et chevalier Galaaad qui refuse de se joindre à la quête malgré son importance aux yeux de nos protagonistes.
Les costumes ne sont pas tant des projections dans la temporalité de Chrétien de Troyes et de l’univers du XIIe siècle que des mélanges hétéroclites de vêtements au ton bleu. Ce choix neutralise toute symbolique potentielle, comme l’atteste par exemple la coprésence d’un short de tennis et d’un camail d’armure dans un seul et même costume. Le recours à des effets de machinerie et aux mutations de costumes renforce la sensation de liberté. Sans l’ancrage apporté par un décor ou des costumes cohérents, la scène se transforme en un espace de liberté que les membres du groupe explorent aux rythmes de la musique et des compositions sonores. Le tout est sublimé par une gestion de la lumière très efficace dans son soutien des différentes ambiances. La scénographie change ainsi de peau comme les comédiens de costumes au fil de ces tableaux éphémères soutenus par l’alliance du son, de la lumière et des accessoires. Sans autre ancrage, il ne reste, dans cette réappropriation d’une des légendes arthuriennes les plus rejouées, que le présent des corps et de la musique qui prennent alors le pas sur le suspens lié à l’éventuelle réussite ou à l’échec de la quête du Graal.
21 octobre 2021
Par Hugo Merzeau