Par Michaël Rolli
Une critique sur le spectacle :
Notre cabane / Écriture et mise en scène par Maria Da Silva / Scénographie par Fanny Courvoisier, lumières par Vicky Althaus et costumes par Maria Muscalu / du 5 au 7 mars 2021 / Théâtre de L’Étincelle – Genève / Plus d’infos
Il était une fois trois enfants s’amusant avec presque rien pour créer presque tout. Telle est la fable du nouveau spectacle des Dénominateurs Communs, Notre Cabane, écrit et mis en scène par Maria Da Silva. L’histoire d’un conte qui n’en était pas un. L’histoire ludique du recyclage nourrissant l’imaginaire des enfants.
« La peur ne remplit pas le ventre ! – Non, mais elle donne faim. ». C’est une histoire d’appétit. Un appétit animal et imaginatif. L’espace est simple : une grande bâche noire recouvre le sol du plateau, des cordes et des câbles électriques tombent des cintres autour de quelques ampoules et néons de récup’. Des feuilles d’aluminium ou de plastique jonchent le sol. Le décor est planté. Nous sommes dans une forêt recyclée. Les personnages, tout droit sortis du conte des trois petits cochons, se meuvent dans cet espace qui devient leur terrain de jeu.
Le collectif genevois des Dénominateurs Communs mène une démarche poétique, cherchant à mettre en exergue « la relation du vivant à son milieu ». En janvier 2020, les artistes menés par la metteuse en scène Maria Da Silva – diplômée de mise en scène à la Manufacture – et le paysagiste Nicolas Dutour – sorti de la HES de Genève – expérimentent du théâtre hors-les-murs, créent des ateliers et mènent des workshops avec l’Université de Genève autour de la question de l’espace naturel comme médium scénique.
Leur nouvelle création Notre cabane – qu’ils présentent dans la maison de quartier de la Jonction à Genève – est dans le droit fil de ces actions. La fable est simple et charmante : deux des trois petits cochons ont quitté leur maison de paille et de terre pour vivre une vie sauvage. Dans leur quête, ils tombent groins à museau, avec le grand méchant loup. Pas de panique ! Celui-ci est végétarien. Les deux petits cochons trouveront en lui un parfait compagnon de jeu.
Et si on disait que le papier d’alu, ça serait comme la pluie ? Et si on disait que le public était dans la forêt, lui-même ? Et si on disait que nos deux petits cochons, ça seraient Isabela De Moraes Evangelista, diplômée de la Manufacture en 2018, et Mathias Glayre, sorti de la Section Professionnelle d’Art Dramatique de Lausanne (SPAD) en 2002, habillés de vestes rose saumon sans manches, de collants et de bonnets ?
Rien d’animal en eux ni sur eux, à l’exception des oreilles de cochon et des grognements. Le corps humain est, lui, mis à l’épreuve : le dos arrondi, les doigts écartés, appuyés sur leurs quatre pattes, la communication est là ; peu de texte, mais de la gestuelle. Face aux mouvements maladroits, grotesques et clownesques, mais pour le moins ludiques et amusants des cochons, la grâce des mouvements dansants du loup – interprété par Ainara Lopez – est d’autant plus remarquable. À pas de loup, Loulou se déplace dans son costume noir près du corps. Là aussi, rien de l’animal, si ce n’est une fausse fourrure grise et noire sur son avant-bras, qu’il lèchera plusieurs fois. Le spectacle produit une plaisante imagerie visuelle et sonore. Si les cochons cherchent à manger et que le loup fait de même, c’est l’appétit de notre imagination d’enfant qui est pleinement rassasié.
Aucune bande enregistrée n’est à entendre. Là aussi, les corps des comédiens et notre imagination sont sollicités pour donner vie à l’ambiance sonore : ainsi, par le frottement et le froissement des feuilles d’alu et de plastique, l’orage se fait menaçant ; par le tapotement de deux doigts sur la paume, les gouttes de pluie tombant sur le sol se font entendre. La bouche, quant à elle, sera le vent, les oiseaux et les cris des trois animaux. Le hurlement du loup est sonore et strident face aux grognements discrets et ridicules des cochons. Ces derniers sont aussi les seuls à être dotés de la parole : le loup se terre, lui, dans un langage inarticulé, c’est lui le sauvage. J’y vois la représentation d’un jeu d’enfants : deux enfants jouent à être les petits cochons de l’histoire et imaginent un protagoniste fantasmatique. Si, dans le conte original, ils sont mangés par un loup cruel car ils sont paresseux, ici ils apprennent, découvrent et s’amusent. Les enfants de la salle trouveront tout cela ludique et les parents, charmant.
Le spectacle nous perd un peu lorsque la réalité, pendant quelques minutes, rattrape la fiction. Alors que Brindille, Vieille Branche et Loulou se retrouvent et s’amusent sous la grande bâche noire, voilà que tout s’arrête. La bâche s’aplanit au sol et les deux cochons en sortent, sur leurs deux pattes arrière, leurs oreilles défaites, tombantes, à nouveau humains. Voilà alors, semble-t-il, des comédiens qui, avec une certaine complicité, construisent une cabane, à l’aide des câbles, des cordes, de la bâche et des autres éléments jonchant le sol. Mais le loup, lui, continue à se comporter comme un animal. Il aide, un peu, n’usant d’aucune délicatesse, jette un coussin et continue à se mouvoir à pas de loup. Ce double niveau provoque une rupture non seulement entre les personnages, qui ne semblent plus évoluer dans la même histoire, mais aussi dans notre regard : s’il s’agit de montrer la fabrique du spectacle, pourquoi le faire à moitié ? Qui sommes-nous censés percevoir ? Les animaux ? Les humains déguisés ? Les comédiens ?
Assis dans une cabane confortable, les deux comédiens remettent leurs oreilles roses et reprennent leur rôle de cochons. Repartant dans la fable, l’instinct animal – l’instinct imaginatif – est alors de retour. Il s’agit maintenant de manger et donc de chasser. On a le plaisir de repartir avec eux dans la fiction, avec le seul regret de voir ce plaisir interrompu par l’extinction des lumières, qui termine la pièce abruptement en nous laissant un peu sur notre faim.