Par Valentine Bovey
Une critique sur le texte de la pièce :
Faites comme chez nous / De Nalini Menamkat / Plus d’infos (Le Courrier)
En Suisse, dans un petit village anonyme entouré de vignes, débarque Tarek, ou « le migrant ». Au cœur même du bourg, son arrivée crée un vrai remue-ménage : des placards sont ouverts, des habitudes sont bousculées et des secrets sont éventés. Dans sa comédie Faites comme chez nous, Nalini Menamkat fait une satire tendre et hautement politique en explorant la question de l’aide aux migrant·e·s. « Aider son prochain. C’est magnifique ! »… mais encore faut-il savoir comment faire.
Comment distinguer le fait d’aider et l’ingérence pure et simple dans la vie d’une personne qui n’a rien demandé ? Tous les travers d’une petite société suisse villageoise pétrie de bonnes intentions se retrouvent dans les différents dispositifs d’aide mis en place par le voisinage pour recevoir le migrant dont l’arrivée est annoncée. Piégés par l’image de leur propre pays – « …soi-disant que la Suisse a une longue tradition humanitaire derrière elle et que c’est notre devoir d’aider notre prochain », râle Véronique, la future voisine de Tarek – ou soulagés de pouvoir enfin aider quelqu’un concrètement, les neuf habitant·e·s du Bourg, dont le syndic et l’employé communal, organisent avec plus ou moins d’implication son arrivée. Prêt d’une maison, récolte de vêtements, petites attentions : tous les moyens sont bons pour bien accueillir. Mais catastrophe : lorsque Tarek arrive, tout droit de Syrie, il semble surtout mal à l’aise face à l’abondance des dispositifs mis en place. Il manifeste son mal-être face à cette réduction de son identité au simple rôle de « l’étranger » pour lequel on sait ce qui est bien, et auquel on ne demande pas son avis. De plus, il préférerait habiter en ville…
Cette comédie en trois actes, basée sur des faits réels, pose habilement des questions cruciales. Comment aider, si la personne que l’on aide ne correspond pas à nos attentes ? Qu’est-ce que l’intégration ? Sous les phrases apparemment banales de la vie quotidienne, les neuf personnages de la pièce mettent en lumière les diverses dynamiques de pouvoir qui se cachent sous ce rapport d’aide. La situation initiale se dessine dans les scènes rythmées et courtes du premier acte, qui établissent rapidement des duos de personnages toujours en tension, pris dans des instantanés de leur vie quotidienne : les élections communales préoccupent le syndic alors que Nathalie, citoyenne très investie, souhaite qu’il accueille correctement Tarek ; Giuseppe et Sabine se font déloger de la maison dans laquelle ils cachent leur liaison adultère à Rémi, le mari de Sabine, employé d’une multinationale ; Véronique s’inquiète avec Giuseppe, immigré de deuxième génération, très méfiant envers le nouvel arrivant, d’éventuels problèmes de voisinage. D’un point de vue dramaturgique, l’intrigue est organisée autour de cet événement : à la fois déclencheur et révélateur, Tarek agit comme un élément perturbateur qui dérègle les rouages bien huilés de ce bourg dont la tranquillité se paie au prix d’une hypocrisie générale. L’arrivée de cette figure étrangère force chacun des personnages à faire face à ses contradictions, ses désirs, et fait apparaître ses traits de caractères les plus profondément ancrés, aboutissant à des scènes extrêmement comiques.
La dimension vaudevillesque s’atténue légèrement dans le deuxième acte qui a pour rôle d’exposer l’incompréhension mutuelle entre les villageois et Tarek : ce dernier se retrouve, bien malgré lui, infantilisé et cantonné dans son rôle de migrant, au détriment de sa véritable personnalité. De manière significative, la parole est distribuée très inégalement, et ce personnage central s’exprime essentiellement par monosyllabes. Dans cette position d’infériorité forcée, et infiniment réductrice, Tarek reste assis à sa table : il observe et écrit. Son silence fait aussi de lui le récipiendaire de confidences avinées ou de la tendresse en manque d’objet de sa voisine Véronique, finalement ravie d’avoir de la compagnie. La relation d’aide se décline donc de plusieurs manières ; par exemple en transfert affectif bizarrement maternant de la part de Véronique, paternalisme à outrance de la part de Rémi ou instrumentalisation à des fins politiques de la part du syndic.
Cette position du personnage principal, à la fois central et observateur marginal, évoque la position même de Nalini Menamkat qui, sans pratiquer du théâtre documentaire au sens strict, construit ici à partir de faits réels un théâtre éminemment sociologique. La fable nous laisse juges face à la réussite des divers efforts mis pour bien faire face à un bénéficiaire qui ne réclame que son émancipation. Le troisième acte, en une seule longue scène, représente l’implosion de ce système clos. À la lecture, on ne peut s’empêcher de saisir l’ambivalence de ces personnages, aussi touchants dans leurs efforts que ridicules. Il est d’ailleurs impossible de ne pas rire jaune, au moins à quelques endroits. C’est ce rire qui nous permet de remettre en question certaines idées reçues sur l’hospitalité suisse et de nous demander si nous ne serions pas tou·te·s, finalement, les habitant·e·s de ce grand bourg qui ne sait pas vraiment accueillir.