Une critique sur le spectacle :
La Poupée cassée / Mise en scène par Martine Corbat et Christian Scheidt / Théâtre des Marionnettes Genève / novembre – décembre 2020 / Plus d’infos
La Poupée cassée, une création du Théâtre des Marionnettes de Genève, mise en scène par Martine Corbat et Christian Scheidt, est un spectacle charmant et léger pour toute la famille, proposé gratuitement en streaming en raison de l’actuelle situation sanitaire. Il raconte l’histoire de l’enfance idyllique de l’artiste peintre Frida Kahlo. Les marionnettes volantes et les arbres multicolores lui apportent une touche de réalisme magique qui rappelle les chefs-d’œuvre de Kahlo.
Le Théâtre des Marionnettes de Genève transforme une situation malheureuse en occasion d’offrir au public un moment privilégié : une diffusion en direct de La Poupée cassée avec, en avant-propos, une visite guidée du théâtre – y compris les zones normalement fermées au public, comme les loges et les bureaux. Le spectacle, joué ensuite sur la scène du TMG, est retransmis sur une plateforme de streaming et, à la fin de la représentation, les artistes et la directrice du théâtre (Isabelle Matter) se prêtent à un jeu de questions/réponses avec les spectateurs présents derrière leurs écrans, invités à réagir par e-mail. Les enfants posent des questions très intéressantes sur les marionnettes, conçues et réalisées par Christophe Kiss. En réponse, Liviu Berehoï (l’un des marionnettistes) va jusqu’à révéler les secrets de certains tours de magie qui figurent dans le spectacle. Martine Corbat (qui adapte et met en scène le spectacle, et interprète Frida Kahlo) nous parle quant à elle de sa fascination pour l’artiste depuis son enfance et du livre de Marie-Danielle Croteau qui a inspiré la pièce. Le pré-spectacle et l’après-spectacle sont ainsi des développements très complémentaires de l’expérience joyeuse et didactique que constitue la pièce.
Si l’histoire de l’enfance de Frida implique plusieurs êtres tels que des animaux et des poupées, le spectacle se centre sur trois personnages humains, ceux de Frida et de ses parents. Le père encourage tout particulièrement la créativité de la fillette et partage avec elle sa passion pour la photographie. Frida passe son temps libre à grimper aux arbres dans le magnifique jardin de la casa azul (la conception de la maisonnette, sur scène, est signée Fredy Porras) et à jouer avec son singe, Capucin. Mais très vite, elle attrape la poliomyélite, qui lui donne des douleurs aux jambes. Et plus tard, elle est victime d’un grave accident de bus. Emprisonnée dans son corps brisé, elle reste confinée dans son lit durant plusieurs mois. Pour occuper son esprit, la mère de Frida lui donne un miroir et des toiles afin qu’elle puisse peindre des autoportraits depuis sa chambre. Marquée par la maladie, différente des autres enfants, Frida, lorsqu’elle se réfugie dans la peinture, retrouve sa liberté grâce à son imaginaire.
Sur la scène, Frida adulte (Martine Corbat) apaise et réconforte Frida enfant : la comédienne, habillée à l’identique, manipule délicatement et patiemment le corps fragile de la fillette, représentée par une petite marionnette à fils faite de morceaux de bois. La métaphore est belle, faisant allusion à un va-et-vient dans le temps, ou à un enfant trouvant du réconfort dans son moi futur. En effet, Frida a peur : par le pouvoir de son imagination, ses angoisses prennent vie durant la nuit. Des formes symboliques dansent autour de la scène : un squelette chantant (emblématique du jour des morts de la culture mexicaine et symbole de sa crainte de mourir), un oiseau blessé, une poupée géante en porcelaine, fracassée lors d’une séquence de rêve.
Les marionnettes et les comédiens sont magnifiquement vêtus de costumes bariolés et chatoyants conçus par Verena Dubac. L’univers coloré est complété par les lumières, les accessoires et les décors, aussi simples et vifs que la narration. Le petit espace scénique est très bien utilisé, avec des décors rotatifs et modulables qui ressemblent à ceux d’une maison de poupée. La musique originale de Pierre Omer parachève enfin la poésie du spectacle : des compositions ludiques et polyglottes, mais sans être trop enfantines – ce qui aurait pu, d’une part, agacer les adultes et, d’autre part compromettre la complexité des thèmes abordés par la pièce, tels que la maladie et surtout, l’art comme expression de résilience.