Par Darya Féral
Une critique sur le spectacle :
Le Malade imaginaire / de Molière / Mise en scène par Cyril Kaiser (compagnie Le Saule Rieur) / Théâtre des marionnettes de Genève / Spectacle programmé en novembre 2020 annulé après une représentation en raison des conditions sanitaires / Captation vidéo réalisée au Théâtre du Crève-Coeur en 2019 mise à disposition des participants de l’Atelier critique / Plus d’infos
Cyril Kaiser met en scène Le Malade Imaginaire de Molière en confiant à quatre comédien.ne.s l’interprétation des rôles et la manipulation de sept marionnettes. Le spectacle interroge le pouvoir du théâtre, remède au mal de solitude.
Bourgeois qui se croit gravement malade, Argan décide de marier sa fille aînée Angélique, qui aime Cléante, au neveu de son médecin. Toinette, la servante de la maison, élabore un plan afin d’assurer le mariage des amants et d’exposer les hypocrites qui gravitent autour d’Argan. Le spectacle a été présenté en 2019 au Théâtre du Crève-Cœur par la Compagnie du Saule Rieur, dirigée par Cyril Kaiser, et devait être repris en 2020 au Théâtre des Marionnettes de Genève. La compagnie avait déjà proposé deux mises en scène dans lesquelles comédien.ne.s et marionnettes coexistaient : L’Ours de Tchékhov (en 2017) et la Cantatrice Chauve de Ionesco (en 2018). Dans Le Malade Imaginaire, la mixité entre comédien.ne.s et marionnettes procure un plaisir ludique aux spectateurs.rices, invité.e.s à apprécier le potentiel comique du texte et la virtuosité du jeu des comédien.ne.s.
Dans cette mise en scène, Argan est présenté comme engagé dans un processus de guérison : le manque d’amour initial dont il souffre est comblé non par les personnages-marionnettes (Béline et le corps médical), mais par sa fille. En effet, les marionnettes incarnent ici les manipulateurs, dans lesquels Argan met toute sa confiance et son argent, mais qui ne lui prodiguent pas l’amour qu’il recherche. Cette distribution souligne efficacement l’état d’isolement initial dont le personnage est affecté. Joël Waefler, qui interprète Argan, est alors seul, entouré de marottes, sur son lit surmonté d’un rideau, ce qui rappelle le cadre d’un spectacle de marionnettes. L’attribution des rôles permet de s’interroger sur la nature imaginaire de la maladie d’Argan. Il joue comme un enfant avec les marionnettes du corps médical et se déclare malade ; il cherche l’amour inconditionnel de sa femme Béline, d’un naturel plus matériel. Face à l’insistance du personnage à se croire malade, Toinette déclare : « vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez ». Nicole Bachmann, interprétant la servante, se tourne face au public et fait un geste de la main qui suggère la folie d’Argan. Les médecins ayant échoué, c’est à Toinette de guérir ce mal, qu’elle diagnostique comme une folie.
La servante se sert de l’art théâtral pour guérir Argan, qui s’illusionne sur les sentiments de ses proches. La proposition de C. Kaiser met l’accent sur le fait que les deux mises en scène successives de la fausse mort d’Argan par Toinette sont déterminantes dans le processus de guérison du malade. La première le désillusionne sur l’amour de Béline, et la seconde le rend à la vie en lui dévoilant l’amour d’Angélique. Argan s’émancipe alors de ses marionnettes et de leur hypocrisie. Le comédien ouvre le rideau de fond de scène, dévoilant la coulisse, et déclare trois fois (alors que la phrase n’apparaît qu’une fois chez Molière), à l’adresse d’une marionnette pendue au mur, et prenant le public à témoin : « Je ne suis pas mort ».
Cette révélation de la coulisse met fin, littéralement et métaphoriquement, au jeu des marionnettes, qui disparaissent au profit des trois personnages incarné.e.s par des comédien.ne.s, qui s’étreignent : Argan, Cléante (Blaise Granget), et Angélique (Vanessa Battistini). Débarrassé de ses marionnettes, et recevant enfin l’amour qu’il cherchait, Argan, pris d’un sursaut vital, est guéri. Le théâtre dans le théâtre se révèle par là capable de rassembler les personnages qui s’aiment, de pallier leur solitude ou leur séparation. La cure n’est donc pas tant dans la fiction que dans l’acte théâtral lui-même.