Faut-il lire la lettre de Barbara Fontaine ?

Par Emmanuel Jung

Une critique sur le spectacle :
Retour à l’expéditeur / Conception et mise en scène de Katy Hernan et Barbara Schlittler / CPO Ouchy / du 29 janvier au 2 février 2020 / Plus d’infos

© Nora Rupp

Retour à l’Expéditeur, spectacle jeune public, emmène les spectateur.trice.s au sein d’un monde (presque) désuet : le monde épistolaire. Le spectacle explore le cas de la lettre égarée, arrivée à la mauvaise adresse. Faut-il céder à sa curiosité et la lire ou la rendre scrupuleusement au destinataire prévu ?

Dans un premier temps, l’univers fictionnel du spectacle présente deux personnages, Diane et Mathias, qui gardent les prénoms des comédien.ne.s qui les incarnent (Diane Müller et Mathias Glayre). Entre deux représentations d’une création théâtrale intitulée « Retour à l’Expéditeur », les deux protagonistes ouvrent le courrier concernant les retours sur le spectacle ; pourtant, une de ces lettres ne leur est pas adressée. Une grande et douce enveloppe jaune et parfumée, destinée à une certaine Barbara Fontaine. Mathias souhaite ouvrir l’enveloppe, Diane veut l’en empêcher. Arrive Katy qui s’en empare et s’en va en courant à la recherche de la destinataire légitime. Diane et Mathias la poursuivent tandis que Barbara, toute de jaune vêtue comme son enveloppe, traverse la scène à son tour. Ce chassé-croisé très cartoonesque est facilité par huit rideaux de couleur, disposés sur les côtés d’une scène triangulaire et offrant de multiples possibilités d’entrées et de sorties aux personnages.

Avant que cette intrigue ne débute, le spectacle est introduit par un processus de questions-réponses. Si les questions sont parfois inattendues, les réponses des nombreux enfants présents dans la salle le sont encore davantage. On leur demande si « tout va bien », s’ils « connaissent un chat », s’ils peuvent « imiter un animal de basse-cour » ou on leur propose de toucher l’enveloppe jaune, objet quelque peu suranné pour cette génération. Une part d’improvisation, parfaitement gérée, rend chaque représentation différente. Les enfants, très réactifs car encouragés par cette démarche participative dès le départ, continuent ensuite à se manifester, s’exclamant, commentant, prévenant les protagonistes lorsque, par exemple, un personnage ne voit pas qui est derrière lui. Pour les adultes, le spectacle se situe aussi bien sur scène que dans le public !

Cependant, une lecture plus philosophique, moins accessible aux enfants, sous-tend la création. Si Mathias les interroge sur les chats, c’est pour rappeler aux spectacteur.trice.s une célèbre mais sibylline expérience de pensée : le chat de Schrödinger. Il n’en donnera que les prémices (un scientifique nommé Schrödinger a imaginé son chat dans une boîte). Cette expérience sert à illustrer le paradoxe de la physique quantique. Un chat est enfermé dans une boîte avec une fiole qui une chance sur deux – par le biais d’un atome radioactif – de libérer un poison et de causer la mort du chat. Selon Schrödinger, tant que la boîte est fermée, l’animal est à la fois mort et vivant, un électron pouvant être à plusieurs endroits simultanément. Il faut alors faire preuve d’imagination pour concevoir ce paradoxe, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry qui voit les moutons dans les caisses et les éléphants dans les boas. Sur scène, tous les personnages tentent de deviner les propos de la lettre destinée à Barbara Fontaine, et les mots de toutes les lettres perdues ou volées. Katy raconte qu’à treize ans, elle écrivit une lettre d’amour à Stéphane pour lui déclarer sa flamme ; volée par le frère de celui-ci, elle n’eut jamais de réponse et Katy pensa que son amour n’était pas réciproque. Comme le chat, donc, la lettre existe dans deux états à la fois : pour Katy, elle a atteint son destinataire, qui ne l’aime pas ; mais, simultanément, la lettre est ailleurs, dans d’autres mains que celles de Stéphane, qui l’aime pourtant.