Par Judith Marchal
Une critique sur le spectacle :
Hercule à la plage / Texte de Fabrice Melquiot / Mise en scène de Mariama Sylla / Théâtre Am Stram Gram / du 1er au 17 novembre 2019 / Plus d’infos
Écrit par le directeur d’Am Stram Gram Fabrice Melquiot et créé à Avignon cet été par Mariama Sylla, Hercule à la plage propose un voyage labyrinthique à travers les souvenirs d’enfance. Une histoire remplie d’innocence et de vérités.
Et si les habituels superhéros issus des comics Marvel se faisaient remplacer par des divinités de la mythologie ? Pour les quatre compères d’Hercule à la plage, c’est bien le fils de Zeus et d’Alcmène qui est au centre de toutes leurs histoires. Un héros introduit dans leur vie par India, la seule fille du groupe, qui se rattache aux histoires des exploits de ce demi-dieu que sa mère lui racontait avant de mourir. Une légende qui n’est que la porte d’entrée du labyrinthe de leur mémoire collective. Tels des Thésée des temps modernes, les quatre camarades viennent se perdre tout au long de la représentation dans le dédale de leurs souvenirs de jeunesse.
La scène est sombre, presque angoissante. Hélène Hudovernik, dans le rôle d’India, se tient seule sur les planches, entourée par les résonances de voix d’enfants d’abord, puis d’adultes. Des sons – allant du cri d’oiseau à l’hélicoptère – traversent la salle, donnant l’illusion au public de se trouver au même endroit que les personnages. Mais quel est-il exactement ? Une forêt ? Un rêve ? L’au-delà ? Impossible de le déterminer. « Tout est bizarre et normal à la fois » : répétés à plusieurs reprises durant le spectacle, ces mots ne sauraient mieux décrire la fantastique mise en scène de Mariama Sylla. Les jeux de lumière offrent à eux seuls des décors extrêmement différents, suggérant aussi bien une plage au coucher du soleil qu’une forêt en pleine nuit. Seuls de gros troncs d’arbres amovibles sont présents sur scène tout au long du spectacle. Pouvant aussi bien évoquer la structure architecturale des colonnes antiques, ils transforment l’espace en véritable terrain de jeu, où l’imagination est infinie.
Il faut peu de temps à la jeune femme pour retrouver ses amis Melvil (Raphaël Archinard), Charles (Julien George) et Angelo (Miami Themo) dans ce lieu sans aucune linéarité temporelle. Pas de flash-back, le quatuor se perd dans les couloirs de ses souvenirs pour les revivre, dans la cour de récréation ou sur la plage de leurs adieux. India est la plus intelligente, la plus jolie, la plus drôle de toute l’école, elle est même « la première de la terre entière ». Et comme ils sont « bêtement et classiquement » tous amoureux d’elle, elle demande à ses trois meilleurs amis de réaliser les mêmes travaux qu’Hercule pour accumuler des points et réussir à conquérir son cœur. Le public (re)plonge ainsi dans le monde farceur de l’enfance, dans lequel les bagarres sont amicales et où le moindre accomplissement devient une immense fierté.
Mais aussi vrai qu’Hercule est un mythe, l’histoire d’India – Stéphanie de son vrai nom – n’est finalement qu’une énorme fabulation. Elle raconte les fantasmes d’une enfant terriblement seule, dont la vie « ordinaire » est trop difficile à supporter. Elle s’imagine en superhéroïne, en véritable déesse antique, et crée son propre mythe autour de faux souvenirs heureux. Hercule, c’est elle. Un récit qui souligne le paradoxe du pouvoir de l’imagination et brouille les frontières entre la rêverie et la mythomanie.
Hercule à la plage aborde subtilement des thèmes universels comme le mensonge, le souvenir, ou la vie après la mort. Le texte offre également aux plus jeunes les prémices d’une réflexion sur des sujets fortement liés aux luttes actuelles, en amenant notamment quelques touches fort appréciables de féminisme, ou en proposant une ouverture à la possibilité d’un amour différent du schéma traditionnel d’un couple formé par un homme et une femme. Parce que oui, « Angelo aurait pu aimer Charles ». Un spectacle émouvant et rempli de rêves, qui trouve de quoi toucher aussi bien les enfants que les adultes.