Par Margaux Farron
Une critique sur le spectacle :
Gouverneurs de la rosée / Texte de Jacques Roumain / Mise en scène de Geneviève Pasquier / Théâtre des Osses / du 10 au 20 octobre 2019 / Plus d’infos
Mis en scène par Geneviève Pasquier, directrice du théâtre des Osses, le spectacle adapté du roman de l’auteur haïtien Jacques Roumain (1944) emporte les spectateurs dans un voyage rafraîchissant au cœur des terres haïtiennes. Un spectacle à résonance sociale et écologique sublimé par l’interprétation énergique d’Amélie Chérubin Soulières.
Après plusieurs années passées à Cuba, Manuel retourne dans son Haïti natale. Alors qu’il espère retrouver les terres fertiles de son enfance, il fait face à un pays affaibli par la sécheresse. Des conflits familiaux ont divisé les habitants du village, mettant à mal le travail agricole collectif, ou coumbite. Aidé par la belle Annaïse, Manuel parvient à trouver une source d’eau et cherche à l’acheminer jusqu’au village. Cependant, victime de conflits ancestraux, il paiera de sa propre vie le prix de la réconciliation. Après sa mort, les habitants parviennent à construire ensemble le canal et commémorent sa mémoire. Paix des hommes et richesse de la nature s’articulent intimement dans ce conte exotique laissant transparaître les engagements politiques de l’auteur haïtien.
Gouverneurs de la Rosée s’inscrit dans le projet de saison 2019-2020 du Centre dramatique fribourgeois axé sur l’écologie au théâtre. Le spectacle propose de redécouvrir la littérature haïtienne du XXe siècle et de la faire résonner avec des enjeux climatiques toujours plus actuels. Sous ses airs de voyage tropical, la fable écologique apparaît comme un outil efficace pour sensibiliser les spectateurs au problème du changement climatique.
La metteuse en scène a confié l’ensemble des rôles à Amélie Chérubin Soulières, dans un véritable défi scénique. La comédienne livre une véritable performance, glissant successivement dans la peau de tous les personnages en leur prêtant voix et gestuelle. Toute en énergie et en bonne humeur, elle transporte le spectateur au cœur de ce village haïtien. On regrette même de ne pas voir ce parti pris monologique exploité jusqu’au bout : les interventions de la percussionniste Aïda Diop, qui prête à plusieurs reprises sa voix au personnage d’Annaïse, créent des ruptures inattendues dans le flux énergétique d’Amélie Chérubin Soulières.
A l’image de la transformation continuelle de la comédienne, la scénographie signée Fanny Courvoisier joue sur l’évolution des éléments de décor. Composé d’une structure architecturale incomplète et de grands draps colorés, l’espace scénique évolue au fil du spectacle. Servant dans un premier temps à matérialiser la géographie fictionnelle du village, les draps sont peu à peu détachés pour servir d’accessoires au récit. Tout comme la comédienne, ce décor évolutif assume plusieurs rôles, se transformant même ponctuellement en instrument de musique. Le spectacle se clôt dans le dénuement scénique ; les rivalités familiales ont cessé, il n’y a plus lieu d’instaurer de séparation matérielle : les « rideaux » peuvent tomber.
Pour transmettre l’ambiance de ce conte exotique, Geneviève Pasquier fait collaborer divers arts. Jeux sonores, percussions, danse et chants harmoniques s’associent pour nuancer et enrichir ce récit d’espoir et de résurrection. La place confiée à la musique dans le spectacle est telle qu’on aurait aimé pouvoir davantage encore observer sur la scène-même la musicienne et ses instruments tout droit venus des Caraïbes et qui contribuent, avec les sonorités du Créole, à faire voyager les spectateurs vers ces terres haïtiennes.