Une critique sur le spectacle :
Gouverneurs de la rosée / Texte de Jacques Roumain / Mise en scène de Geneviève Pasquier / Théâtre des Osses / du 10 au 20 octobre 2019 / Plus d’infos
Après Le Journal d’Anne Frank en 2018, Geneviève Pasquier adapte le roman Gouverneurs de la rosée de l’écrivain haïtien Jacques Roumain. Portée par la comédienne d’origine haïtienne Amélie Chérubin Soulières et la percussionniste Aïda Diop, la pièce rend hommage au conte de l’écrivain par une mise en scène sobre et efficace.
Le titre avertit déjà lecteurs et spectateurs : la langue de Jacques Roumain n’est pas commune, mais elle est universelle par sa poésie. Et c’est précisément cette universalité qui constitue le message du roman : les clivages sociaux entraînent la haine, séparent les êtres humains de la nature et, après les avoir divisés, entraînent leur perte par la destruction progressive de l’environnement. L’adaptation de Geneviève Pasquier fait écho à ce discours. Premier volet d’un diptyque écologique, Gouverneurs de la rosée est un spectacle terrestre et fédérateur.
Après quinze ans de travail dans les champs de canne à sucre à Cuba, Manuel retourne chez ses parents dans son village. Il y découvre une terre sèche, devenue blanche, et des familles divisées par d’anciennes vengeances ; le Simidor Antoine, tambour des travailleurs des champs, ne retentit plus guère. Porté par son amour pour Annaïse, cousine d’un rival de sa famille, Manuel se met alors à la recherche de l’eau qui saura soulager sa terre natale qui se craquèle.
C’est entre des draps couleur d’eau et de terre que la comédienne Amélie Chérubin Soulières et la percussionniste Aïda Diop se retrouvent pour conter cette histoire. Maîtrisant à la perfection l’art du jonglage vocal et physique, Amélie Chérubin Soulières incarne chaque personnage tour à tour et, sans aucun répit, livre une prestation engagée et intense. À cette voix multiple, la musique d’Aïda Diop s’attache sans l’alourdir et donne vie aux choses qui ne peuvent pas être dites : les frissons des arbres et des mains qui se touchent se font entendre dans un même souffle.
Geneviève Pasquier transpose le texte de Jacques Roumain en une série d’impressions frappantes plus que dans des discours explicitement sociaux et politiques. L’histoire est présentée dans ses grandes lignes sous la forme de tableaux inventifs qui s’enchaînent avec fluidité par la musique et par la danse : les voix des femmes du villages se transforment en une chorégraphie de sons produits par le pincement des cordes à linge, la scène d’amour s’exprime par des soupirs entre les draps flottants dans la fraîcheur des arbres, la douleur de la mère après la perte de son fils devient ici une danse au rythme des tambours.
Cette adaptation du texte par les images et les impressions qu’il produit justifie le choix d’une seule comédienne et d’une seule musicienne : il faut aller à l’essentiel. Néanmoins, ce parti pris aurait pu être encore renforcé par une scission plus radicale des deux mondes qui se côtoient sur la scène. La voix d’Amélie Chérubin Soulières est celle de Jacques Roumain tandis que la performance musicale d’Aïda Diop incarne le monde qu’il décrit : lorsque les rôles se confondent, l’équilibre dramaturgique est comme mis en péril, sans que l’on ne comprenne forcément pourquoi.
Poignardé par le cousin d’Annaïse, Manuel refuse pourtant de donner le nom de son assassin. Cet ultime geste met un terme à la haine ; sa mort marque le début de la vie. Ce que le roman laisse transparaître, la pièce le fait exister. Par une expérience qui fait entièrement appel aux sens et à la musique, Geneviève Pasquier fait de Gouverneurs de la rosée une véritable ode à la vie.
On pense à Antoine de Saint-Exupéry, dans Terre des Hommes : « Quand nous prenons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort ».