Histoires sans gloire et pratiquement sans péril pour quatre voix sur une pente raide
Création du Collectif moitié moitié moitié / Petithéâtre de Sion / du 24 au 26 mai 2019 / Critiques par Lena Rossel et Brice Torriani.
La montagne, ça vous gagne
26 mai 2019
Par Lena Rossel
Première création du Collectif moitié moitié moitié, Histoires sans gloire et pratiquement sans péril pour quatre voix sur une pente raide dépeint un imaginaire montagnard touchant et absurde. A travers un dispositif scénique des plus simples (quatre corps, quatre voix), les comédiennes et comédiens nous emmènent dans un voyage peuplé de réminiscences et de folie joyeuse, jusqu’à un sommet dont on ne veut plus redescendre.
« C’est bien le titre de spectacle le plus difficile à prononcer » : c’est ainsi qu’on nous invite cordialement à entrer dans la salle du Petithéâtre. Des allers et retours confus dans l’escalier en bois précèdent l’entrée des comédien-nes et donnent le ton du spectacle, faisant déjà rire le public. Sur le plateau nu, les comédiennes et comédiens, habillés chiquement, chantent des chansons traditionnelles des montagnes à quatre voix. Leur virtuosité n’a d’égal que leur humour, qu’ils exploitent avec talent. Peu à peu, un récit émerge et remue : des chants entrecoupés d’accès de folie bovine, une balade touristique qui ne se termine pas comme prévu, les ancêtres qui hantent les chalets, et bien sûr la vue… mais quelle vue ! De chanteurs de chorale à vaches émancipées, en passant par un troupeau de touristes, les comédiennes et comédiens du collectif frappent toujours juste en parvenant, à travers chaque incarnation, à éveiller un écho de la montagne, si prégnante dans nos vies de Suisses.
Ce sont des histoires simples que nous content les comédien-es, simples et de ce fait très touchantes. La tension vient des bêlements qui peuvent s’introduire à tout moment dans le texte et prendre au dépourvu. Les voix nues, sans artifices, des comédien-nes, se prêtent plus facilement aux « dérapages » potentiels… Mais, évidemment, rien qui ne soit pas calculé : les apparentes erreurs (ou glissements de terrain) s’intègrent fluidement au spectacle et ne font qu’ajouter au comique de la situation. Les personnages se font petit à petit emporter par le récit qu’ils nous livrent, jusqu’à s’y perdre, et leur parole avec. Mais ce n’est que pour ressurgir plus loin, puis se perdre à nouveau : des randonneurs qui émergent de la montagne à intervalles réguliers au détour d’un chemin.
Spectacle porté uniquement par la voix et la présence corporelle des comédien-nes, sans décor ni accessoires superflus, il apporte un souffle de fraîcheur par sa simplicité et son honnêteté. C’est une bouffée de vie que nous offre le collectif, qui réussit à incarner plusieurs images en même temps et créer des liens improbables et pourtant très forts. Les histoires, contes et chansons de ce folklore si particulier résonnent avec les plus grands récits qui régissent nos imaginaires : la mort, la vieillesse, la solitude s’entrecroisent sans jamais s’imposer, sans tomber dans la mélancolie. C’est dans une indéniable bonne humeur que l’on ressort du spectacle, ragaillardi-e de s’être senti-e chez soi au milieu de ces histoires escarpées.
26 mai 2019
Par Lena Rossel
Au choeur de la montagne
26 mai 2019
Par Brice Torriani
Entre les murs anciens du Petitheâtre de Sion se joue un concert à quatre voix. Le collectif moitié-moitié-moitié, non content d’envoûter par une performance vocale remarquable, se joue du regard sur le traditionnel et le pittoresque. La troupe présente dans une suite de tableaux mouvants la fascination pour la montagne. Une randonnée au cœur des fantasmes, entre folie et admiration, entre peur et passion.
Les montagnes valaisannes regorgent de légendes et de fantômes. C’est ce que semble vouloir peindre dans cette pièce le quatuor de comédien·ne·s. Ceux-ci se placent comme pour un concert, puis embaument la salle par une série de chants traditionnels d’un parfum de pittoresque, qui passe du fascinant au grotesque. En effet, une fois le sempiternel Lioba entamé, une comédienne ponctue sa partition de bêlements et se met à évoluer sur scène comme un mouton, dans une transe induite par le martelage de chants de pâtre. Les paroles deviennent confuses, et les mots semblent perdre leur sens au profit de la musicalité du chant.
Le spectacle bascule ensuite du chant solennel à une narration par le corps et le texte. C’est tout d’abord par un jeu d’expressions faciales que les comédien·n·e·s, comme extirpé·e·s de leurs chants par une force obscure, entraînent le spectateur dans une nouvelle histoire. Les personnages se mettent à agir comme des moutons, et le chœur se meut en troupeau. Commence alors un jeu de corps et de groupe, où une peur irrationnelle guide les mouvements instinctifs, bestiaux. Et si l’on rit souvent de ce mimétisme animalier, les quatre interprètes parviennent à nous transmettre un frisson angoissant, soutenu par un jeu de lumière et de sons imitant les grondements d’une météo capricieuse.
Le spectacle balance constamment entre cette angoisse face aux immensités rocheuses et la ridicule et emphatique fascination cultivée notamment par les milieux touristiques. Aussi se joue alors une visite guidée grandiloquente et absurde, entre le Cervin (dont le nom serait apparemment traduit en anglais par Mount Everest) et le bis de la pisse. Le groupe expose avec légèreté un patriotisme surabondant. Les costumes de soirée portés par les comédien·ne·s contrastent avec la randonnée à laquelle elles et ils prennent part. Comme pour illustrer l’impossibilité de maîtriser une nature indomptable, le groupe se retrouve perdu, bloqué face au mur en fond de scène. Les personnages sombrent alors lentement jusqu’à s’engouffrer dans le monde des esprits.
Dans cette suite de tableaux sont également questionnées les notions d’individualité et de groupe. À la première fausse note volontairement commise par un comédien-chanteur, celui-ci se retrouve écarté, perdu dans son incapacité à communiquer avec les autres. Dans une autre scène se dégage la cheffe d’une insurrection grégaire, face à l’autorité du berger, autour de laquelle les moutons s’agglutinent sans comprendre les enjeux du discours. Lors de ces scènes, le jeu de groupe s’accorde avec l’esthétique de chœur affichée durant le reste de la pièce, mais il est difficile de le rattacher à la thématique première des légendes de montagne.
La pièce, si elle demande une attention particulière de la part du spectateur pour en saisir toutes les subtilités cachées dans les paroles des chansons, demeure une ode poignante au régionalisme et à une tradition culturelle qui traverse les âges. L’ouïe et la vue sont tour à tour mises à contribution, jusqu’à ce que le spectateur se retrouve plongé dans le noir face à une silencieuse constellation d’étoiles, mimée par des lampes de poches. Et si le rythme semble s’essouffler en fin de pièce, c’est parce que l’on brûle de féliciter ce quatuor qui a su créer, par l’intensité du chant et la complicité du jeu, un lien entre le public, la scène et les montagnes ancestrales.
26 mai 2019
Par Brice Torriani