Par Julia Cela
Une critique sur le spectacle :
Maintaining Stranger / Texte de Jen Rosenblit / Création et mise en scène de Simone Aughterlony / Arsenic – Centre d’art scénique contemporain / du 4 au 7 avril 2019 / Plus d’infos
Un no man’s land rocailleux. Cinq personnages aux contours flous. Des dialogues dont on ne se souviendra pas longtemps. Dans Maintaining Stranger tout paraît temporaire. Les liens que l’on voit se tisser entre les personnages n’existent qu’ici et maintenant.
Sur scène, des éléments architecturaux évoquent des blocs rocheux. Dans certaines des structures sont insérés de l’eau, de la fumée ou du sable. Niché au creux d’un rocher dans un coin de la scène, le musicien Hahn Rowe boucle le son de tuyaux, de guitare ou de morceaux de métal, qui s’agencent en rythmes planants et atmosphériques. La musique sera le seul élément constant du spectacle, le fil rouge au milieu des échanges flottants entre les cinq personnages.
Étrangeté par diffraction
Ces derniers sont étrangement dépareillés : survêtement 90’s, bottes de cow-boy, vêtement androgyne à la ligne racée, jeans larges, bodys serrés. Leur seul point commun semble être leur nonchalance. Tous errent sur le plateau, sans pourtant sembler étonnés de n’avoir aucun but. Une conversation, soudain, éclaire sous un autre jours cette diversité. Un personnage explique à son interlocuteur sa manière de considérer séparément les parties du corps d’autres êtres humains. Il faudrait pouvoir les considérer séparément sans pour autant souhaiter reconstituer un corps nouveau à partir des pièces détachées.
On comprend qu’il en va de même de Maintaining Stranger. On assiste à la monstration de pièces détachées, qui résonnent les unes avec les autres par leur co-présence au sein du spectacle. Les différentes séquences se saisissent thématiquement de l’étrangeté provoquée par le constat de cette disjonction. Les parties chantées ou dansées représentent particulièrement bien cet effet : tous les personnages suivent une partition qui leur est propre. Ils ne se rencontrent qu’à de rares occasions semblant souvent fortuites.
Un spectacle pluridisciplinaire
La musique souligne tout en déjouant la diversité des scènes. Toujours présente, elle crée un effet de liaison. Cette évolution peut être douce ou radicale, accentuant ainsi l’étrangeté provoquée par la dimension composite du spectacle. Les atmosphères créées en direct passent de l’accompagnement d’ambiance éthéré à des sons rock ou techno plus puissants. Se succèdent ainsi des boucles de sons abstraits, une performance chantée par Mathias Riggenberg, un morceau plutôt rock interprété par Hahn Rowe ou encore, en accompagnement des séquences dansées, de la musique électro rappelant l’eurodance.
La danse intervient à divers moments du spectacle, venant appuyer les parcours individuels des personnages. Chacun d’entre eux entretient un univers physique qui lui est propre, créant un effet de foisonnement multipliant les foyers d’attention. Ceci provoque de nombreux effets de surprise. Alors que notre attention se portait sur un danseur à une extrémité du plateau, on entend un bruit d’éclaboussure : c’est l’un des personnages qui s’est laissé tomber dans une vasque remplie d’eau installée au sommet de l’un des éléments rocheux.
Suspension
Les scènes ne se succèdent pas selon un principe logique ou narratif, mais elles pointent toutes explicitement l’étrangeté des corps et de leur rencontre. La représentation crée un sentiment de constante distraction pour les spectateurs, invités à regarder des corps interagir entre eux ainsi qu’avec leur environnement. Un instant suspendu, dans un univers sans âge, où le temps n’a plus cours et où tout coexiste.