Par Lena Rossel
Une critique sur le spectacle :
Funérailles d’hiver / Texte de Hanokh Levin / Mise en scène de Michael Delaunoy / Théâtre du Passage / du 20 au 22 novembre 2018 / Plus d’infos
Funérailles d’hiver est un projet né de la collaboration entre la Cie du Passage et le Rideau de Bruxelles. Reprenant une pièce de l’auteur israélien Hanokh Levin, les deux troupes présentent un vaudeville surexcité, à l’humour éculé et répétitif, qui s’enfonce dans le stéréotype du genre en voulant le détourner.
Douze comédiens s’agitent sur la scène entourée de rideaux roses. L’impression d’être à l’intérieur d’un cercueil amuse, au premier abord. Tous sont alignés et neuf d’entre eux portent un masque de squelette, prédisant les évènements à venir. La pièce s’ouvre en musique, au son de l’accordéon et de la voix de « l’ange de la mort », Angel Samuelov, incarné par le comédien Frank Michaux. Ce dernier assurera la couverture musicale du spectacle, aidé d’agents costumés en noir semblant sortir de Men in Black et des personnages qui le rejoindront un par un dans la mort.
C’est l’histoire d’une course-poursuite entre Latchek Bobitchek (Robert Bouvier), un vieux garçon gentil dont la mère vient de décéder, et la famille de sa cousine Shratzia (Muriel Legrand), à qui il souhaite annoncer la nouvelle afin de les inviter à l’enterrement qui aura lieu le lendemain. Manque de chance, c’est également le jour où Shratzia et son mari Rashèss (Frank Arnaudon) prévoient de marier leur fille Vélvétsia (Jeanne Dailler) à Popotshenko (Fabian Dorsimont), dont les parents sont présents pour l’occasion. S’ensuit une escapade tout au long de la nuit pendant laquelle les deux familles tenteront de fuir la mauvaise nouvelle afin de préserver le mariage de leurs enfants, les 400 convives et les 800 poulets rôtis prévus pour l’occasion. De la plage de Tel-Aviv à l’Himalaya, rien n’arrêtera Latchek Bobitchek, qui a promis à sa mère sur son lit de mort qu’il ne serait pas le seul à son enterrement.
La pièce est essentiellement portée par Muriel Legrand (Shratzia) et Catherine Salée (Tsitskéva), les mères des deux futurs époux. Dans un surjeu propre aux codes du vaudeville, elles passent leur temps à invectiver leur famille et n’ont qu’un seul objectif en tête : le mariage. On ne peut qu’admirer la performance des deux comédiennes, dont les personnages éclipsent tous les autres – également par l’importance qui leur est accordée dans le texte, au sein duquel Vélvétsia et Popotshenko, principaux intéressés par le mariage, n’ont pas leur mot à dire dans son déroulement. L’auteur montre ainsi à quel point l’amour, ironiquement, n’a pas de place aux yeux des mères dans ce mariage, qui est leur projet de vie. Il en est de même pour les maris, qui meurent rapidement. Ils rejoignent ainsi Angel Samuelov à la musique, sans que leurs femmes semblent se soucier de leur disparition, trop préoccupées par la réussite du mariage.
Ce dernier personnage semblait être le plus mystérieux par son absence de texte – contrastant avec le flot de paroles dans lequel nous noient Shratzia et Tsitskéva – et par sa manière de communiquer uniquement par la musique et le chant. Il perd toutefois brusquement de son intérêt au moment de la mort du premier mari, Baragontsélé (Thierry Romanens), évènement qui se transforme en une farce grotesque. Samuelov lui explique que la mort n’est, en fin de compte, rien de plus qu’une simple expiration par les fesses. Cette dédramatisation de la mort aurait pu être drôle si elle avait été abordée avec plus de subtilité. Quand Shratzia insulte gratuitement la mère défunte, le malaise ne fait pas rire non plus… Ces moments de gêne, disséminés tout au long du spectacle, font certes prendre conscience de l’importance que nous attachons aux rituels qui entourent la mort. Cependant, ils auraient gagné à être écourtés.
La mise en scène, quant à elle, est finement pensée. Les décors se font et se défont, évoquant facilement un appartement, une salle de bal, un enterrement. Les costumes sont réussis, répondant par leur teinte grisâtre à l’uniformité et la platitude des personnages. Élément salvateur, outre la performance énergique des comédien.ne.s : la musique offre quelques oasis où l’on peut respirer entre deux tirades. Les comédien.ne.s, excellents chanteurs et chanteuses, rendent un peu plus digestes les dialogues qui n’en finissent pas et les musiciens entraînent facilement le public dans leur groove. Accordéon, guitare, basse, piano, tous sont de la partie à notre plus grand plaisir même si, au fil de la pièce, ils peinent de plus en plus à ramener l’attention du public à la scène.
Pétrie de dichotomies (hommes-femmes, enterrement-mariage, eux-nous), l’auteur monte les personnages les uns contre les autres sans aucune chance de réconciliation et peine à les rendre attachants. La critique esquissée de la surconsommation et le tabou de la mort n’est, effectivement, qu’esquissée : on n’y trouve pas de réelle profondeur, pas de matière à réflexion. Elle est occultée par les farces lourdes, le burlesque trop grossier. Le penchant pour la provocation d’Hanokh Levin est net ici mais peine à être apprécié. Se voulant un moment de divertissement agréable et drôle, la pièce met en scène ses propres funérailles, et devient finalement sa propre farce.