Par Brice Torriani
Une critique sur le spectacle :
Funérailles d’hiver / Texte de Hanokh Levin / Mise en scène de Michael Delaunoy / Théâtre du Passage / du 20 au 22 novembre 2018 / Plus d’infos
Dans la plus tenace tradition du vaudeville, la Compagnie du Passage célèbre sous son toit et en collaboration avec Le Rideau de Bruxelles un mariage, concurrencé par le décès impromptu de la grande tante de la mariée, et par son enterrement qui gâche les préparatifs festifs des deux familles. En mariant le cabaret et le vaudeville, Michael Delaunoy tente de donner vie à un texte qui s’égare dans des cimes de conventions et des tréfonds de platitudes. Une nécromancie qui réveille des images que l’on pensait enterrées.
La salle du Passage de Neuchâtel se prépare à une grande fête, à laquelle s’est invitée une ribambelle de chalands de tout âge. Comme lors de toute célébration familiale, on se réjouit de retrouver ces visages détendus, bien décidés à apprécier le spectacle à venir. L’ouverture ne déçoit pas : dans un décor sombre s’avancent en chanson les protagonistes masqués d’un crâne, formant le tableau joyeusement macabre d’une famille réunie dans la mort qui les attend. L’orchestre qui se présente au centre de la scène, avec le piano que l’on devine en fond, annonce un spectacle musical et entraînant. S’agit-il ici d’une agréable surprise de mise en scène, d’un « vaudouville » festif ? Sommes-nous sur le point d’assister à l’incarnation d’un texte qui – comme on nous l’annonce dans le prospectus – « réinvente » la comédie burlesque ?
L’amateur de cabaret s’en trouve en tout cas ravi. L’accordéon résonne dans la salle et met en joie un public qui – tels les convives d’un mariage – n’hésite pas à applaudir de bon cœur, brisant d’emblée le cérémonial religieux que l’on pourrait attendre d’une salle de théâtre. Le ton est donné, l’ambiance est à la fête. Les chansons sont interprétées avec justesse et entrain, par des voix percutantes dont l’accoutrement pataud des pyjamas grisâtres ne nous laisserait pas soupçonner l’énergie. La farandole déride le spectateur et apparaît comme une dose d’oxygène qui réanime son attention, du moins au début du spectacle, lorsque la longueur des discours le plonge dans les limbes de l’ennui. En effet, si la salle suit de ses applaudissements rythmés les premières chansons, ceux-ci s’affaiblissent et s’amenuisent au fur et à mesure de la soirée.
Avec force, vaillance et dévotion, les comédiennes Muriel Legrand et Catherine Salée portent à bout de bras et supportent à bout de souffle le texte jusque dans ses plus lointaines errances, ses plus pénibles longueurs et ses plus grotesques lieux communs. On recherche alors des personnages méprisables ou attachants, auxquels le vaudeville nous habitue. Mais l’écriture lévinienne empêche que l’on s’attache à ces personnages, car sa satire du microcosme familial israélien moque chacun d’entre eux et expose leurs plus grands défauts, ne laissant que peu de place à l’empathie. Aussi, malgré la performance de Robert Bouvier qui durant toute la pièce incarne la naïveté exacerbée de l’orphelin qui insiste désespérément pour enterrer sa mère le jour même du mariage, on peine à s’apitoyer sur ce personnage tant sa quête semble vaine et absurde.
Dans une parodie de cette absurdité, on rencontre un couple de joggeurs clownesques, sorte de Tweedle-Dee/Tweedle-Dum en shorts fluos, dont les répliques faussement alambiquées et scandées dans une diction parfois difficile à saisir, nous proposent une métaphore de la course effrénée au prolongement de la vie. Pierre Aucaigne, quant à lui, soigne son rôle d’amuseur des foules, dans la peau d’un voisin tristement esseulé, mais envahissant. Quant aux mariés, constamment noyés dans le chœur familial, le peu de place que leur laisse le texte interroge sur la pertinence de leur rôle, réduit à dépeindre un amour sous sa forme la plus pathétique, moqué de manière répétée par une scène parodiant les comédies musicales.
Le maître de cérémonie, représentation terrestre de l’ange de la mort, demeure le seul relief dans cette triste palette de personnages. Lorsqu’il se promène au milieu d’eux qui ne le voient pas, jouant de son accordéon et entonnant différents chants, il apporte une profondeur à la trame et offre un miroir au spectateur qui assiste, moqueur, à cette course-poursuite insensée. Mais ce rapprochement avec le public retombe bien vite lorsque, par un discours tristement explicatif, il annonce sa fonction – pour qui n’aurait pas saisi la subtilité du costume lubrique et du maquillage faustien – et dérobe l’âme de ces personnages (ou plutôt leur ultime flatulence), creusant ainsi le grotesque vers des couches rabelaisiennes, sans en atteindre la moelle.
La dramaturgie se moque tantôt des codes du genre, tantôt les utilise avec application, si bien que l’on peine à prendre la moindre scène au sérieux ou à la pleine dérision. Lorsqu’une jeune femme insulte frénétiquement sa tante morte, l’interprétation grotesque nous prive d’un rire qu’aurait pu susciter le cynisme d’une telle scène. On baigne dans les plaisanteries de mauvais goût et dans le racisme ordinaire, notamment lorsque Aucaigne interprète un moine tibétain à la manière d’un sketch de Michel Leeb, tout droit sorti du réfrigérateur à blagues sinophobes des années 80. Certes, ces plaisanteries évoquent l’ambiance de certaines cérémonies de mariage, mais le texte et la mise en scène semblent se complaire dans cette esthétique du vulgaire.
Incontestablement nous sommes là, foule nombreuse quittant les gradins que parsemaient les éclatements hilares. Incontestablement le vaudeville, même balafré par l’absence d’idée, demeure un incontournable apprécié du grand public. On pense alors à cette salle comble, grâce à laquelle il est permis de se réjouir d’une prochaine affiche plus audacieuse. Car ce soir la subtilité, la poésie et l’émoi ont frappé à la porte du théâtre, mais personne ne s’est donné la peine de leur ouvrir.