Une critique sur le spectacle :
Amphitryon / Texte de Molière / Mise en scène de Stéphanie Tesson / Théâtre du Passage / 1er novembre 2018 / Plus d’infos
Le Théâtre du Passage de Neuchâtel accueillait, ce 1er novembre, Stéphanie Tesson et son Amphitryon, pièce peu jouée de Molière. Cette comédie donne à voir les stratagèmes de Jupiter pour gagner le cœur d’Alcmène, une mortelle, dont il s’est épris. Aidé de Mercure et travesti en Amphitryon, époux de la jeune femme, le roi des dieux est vite confronté au véritable Amphitryon et à Sosie, le valet de ce dernier, qui perturbent ses amours. Stéphanie Tesson et sa troupe optent pour une mise en scène axée sur le respect du texte et du vers, tout en soulignant la magie de la fable par un décor et des costumes méticuleusement recherchés.
Si la pièce de Molière explore les stratagèmes de Jupiter et de Mercure pour permettre au premier de conquérir Alcmène, c’est surtout la confusion ressentie par les véritables Amphitryon et Sosie qui fait tout l’intérêt de la pièce. Se travestissant, les dieux dérobent l’identité des humains pour arriver à leurs fins, ce qui laisse le général thébain et son valet en proie au doute sur eux-mêmes. Les épouses d’Amphitryon et de Sosie, Alcmène et Cléanthis, se retrouvent quant à elles trompées par des imposteurs. S’ensuivent des scènes comiques où les époux se disputent à cause d’événements engendrés en réalité par la perversion divine. Victimes d’imposture et privés d’identité, les deux personnages se révoltent finalement et révèlent la tromperie, résolvant les malentendus.
On sort de la représentation avec un doute quant au genre de la pièce. Même si l’on rit de la confusion d’Amphitryon et de Sosie, des disputes des couples ou de la confrontation des doubles, le pendant tragique subsiste. Les dieux se jouent des humains, les trompent, les malmènent et, pire, les privent d’identité, au profit de leur bon plaisir. Mercure prend d’ailleurs des allures de trickster face à Sosie qui, littéralement embourbé dans une nuit qui ne finit pas, se fait battre et ne peut même pas s’en remettre à Amphitryon. Évoluant sur une scène d’abord recouverte d’une nuit étoilée puis illuminée d’un ciel rappelant fortement le plafond de la galerie Riccardi du palais Médicis de Florence, les comédien·ne·s nous invitent pourtant à autre chose. À plus de légèreté, à ne pas forcément questionner les actions des personnages comme nous pourrions le faire à la lecture de la pièce.
Stéphanie Tesson parle de la scène comme d’une « lanterne magique [où se déroule] la fable d’un dieu qui se fait homme par amour pour une mortelle ». C’est ainsi que nous sommes invité·e·s à considérer ce spectacle. Comme un lieu magique d’expérimentation théâtrale. La mise en scène dépasse les lectures possibles de l’histoire, préférant une ode au texte, un hommage au théâtre de Molière. Alternant scènes mouvementées et statiques, celles-ci plus fréquentes dans le dernier acte, le spectacle ne tente pas d’amoindrir les longueurs imputables au texte et perceptibles par le public. Il s’agit de magnifier un théâtre en cherchant à correspondre à une idée que le/la spectateur/trice pourrait se faire de Molière. Dès lors, Stéphanie Tesson refuse une mise en scène purement archéologique du théâtre des années 1660. La metteuse en scène exploite l’imaginaire collectif lié à Molière sans remettre en question son fondement parfois faussé. Il en est ainsi du costume d’Amphitryon/Jupiter : d’aucuns pourraient affirmer qu’il est d’époque par son hétérogénéité avec notre mode actuelle. Seulement, il fonctionne surtout comme référent d’une situation temporelle révolue, à savoir le règne de Louis XIV. Les comédiens interprétant Amphitryon et Jupiter arborent une tunique rouge ornée d’un soleil doré ; ils portent une perruque bouclée. Le costume a une valeur générale d’historicisation, sans pour autant témoigner d’une recherche scénographique historique. Le décor fonctionne de la même manière ; il ne s’agit pas de correspondre véritablement aux pratiques du théâtre du XVIIe siècle mais de rattacher le spectacle à l’imaginaire d’un contexte idéalisé par le public. Le parallèle que nous faisions entre le ciel dont se drape Jupiter et la voûte du palais Médicis-Riccardi de Florence en témoigne : la fresque date de la seconde moitié du XVIIe. Notons également la prosodie parfaite des comédien·ne·s qui reste tout à fait idéale au regard des pratiques réelles de la diction d’époque. De même pour les intermèdes musicaux au clavecin entre les actes : la restitution historique aurait voulu la présence de musiciens sur scène et non une diffusion à l’aide de haut-parleurs.
Il s’agissait donc bien ce 1er novembre de présenter un hommage sans (tentative de) restitution véritable ni de recontextualisation ou de réinterprétation. Le classique y est une matière révélatrice de l’imaginaire collectif sur le théâtre du XVIIe siècle : le spectacle comble le public sans s’ériger en porteur d’une vérité historique sur la représentation à l’époque de Molière. Nous pourrions ajouter qu’à l’image des dieux qui se jouent des humains, Stéphanie Tesson et ses comédien·ne·s se jouent du public, mais en usant d’une imposture cette fois-ci positive, invitant à l’émerveillement.