Par Julie Heger
Une critique sur le spectacle :
L’hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains / Texte de Philippe Dorin / Mise en scène de Matthias Urban / Le Petit Théâtre / du 31 octobre au 18 novembre 2018 / Plus d’infos
Sur une scène presque nue, deux personnages attendent qu’un dramaturge écrive leur histoire. S’impatientant, ils décident de s’organiser une vie laissant toute place à l’imagination. Des repas imaginaires aux guitares inexistantes, les deux compères meublent leur vie, et la scène, dans l’attente de l’auteur.
C’est l’hiver. Le plancher craque et les enfants s’impatientent ; la pièce va tantôt commencer. Sur scène, c’est l’hiver. Le plancher craque et les enfants s’impatientent ; leur histoire va bientôt s’écrire. Deux grands enfants, un homme et une femme, se retrouvent dans un décor se résumant à un parquet à moitié démonté. La pièce s’ouvre sur un joyeux franchissement du seuil qui sépare les personnages de leur créateur : « Tu sais, y a un type, là-bas, il est assis derrière son bureau en ce moment, en train d’écrire notre histoire, et là, il a pas beaucoup d’idées… ».
Sur une scène vide comme une page blanche, ils attendent. Mais pas question de se contenter de cette attente. D’abord, pourquoi pas construire une chaise ? On est toujours mieux sur une chaise. Se servant du plancher à disposition sous ses pieds comme d’un puzzle, l’homme emboîte et assemble les planches de bois jusqu’à obtenir deux chaises, une table, une guitare et pourquoi pas un voisin, ou serait-ce plutôt un arbre ? Dans cette conquête de leur existence, les deux amoureux se servent de leur imagination pour se créer un univers, un quotidien, une vie.
La pièce évoque souvent le théâtre de l’absurde de Beckett, à commencer par la métalepse du début, mais aussi par des petites maximes et métaphores qu’elle énonce sur la vie. De ce point de vue, elle rappelle particulièrement En attendant Godot à la différence qu’ici les personnages décident consciemment de meubler le temps avec une légèreté enfantine. Ils ne sont pas là pour s’apitoyer sur leur condition, leur but est de tout construire en partant de rien, ou plus exactement, d’un simple plancher, en se servant de leur esprit d’invention. De cette manière, toutes les possibilités s’ouvrent à eux au point que l’attente ne semble même plus être un problème, juste une réalité ; la vie.
Et c’est vraiment le point fort de ce spectacle qui montre que la vie n’est peut-être qu’une suite de silences et d’attentes à meubler, et que peu importe ; ces silences, on les partage à deux, cette attente, c’est elle qui nous permettra de tout tenter, et puis, ce peu de temps que nous avons, qu’en faisons-nous ? Une suite de souvenirs riches, de partages, d’expériences, de possibilités !
De cette pièce, on ressort réjouis, rassurés. Le texte de Philippe Dorin a reçu le Molière du meilleur spectacle jeune public en 2008 et l’on comprend pourquoi : il n’est pas évident de traiter du temps et de la condition humaine en montrant l’attente à meubler comme rien de plus qu’une série d’activités qui nous conduisent tout droit à la mort. La mise en scène illustre ici directement le propos grâce à cet espace scénique vide au début, et toujours plus rempli de meubles emboités maladroitement et de souvenirs alambiqués. Non, ce n’était pas facile de se lancer dans un sujet si sombre pour, à l’aide d’une bougie placée là par la fantaisie d’un enfant, le transformer en un sujet éclatant comme un rayon de soleil sur de la neige.