Une critique sur le spectacle :
Variations sur un temps / Texte de David Ives / Traduction de Maryse Warda / Mise en scène de Julien Schmutz / Théâtre des Osses / du 29 septembre au 21 octobre 2018 / Plus d’infos
S’interroger sur la notion de temps, sur son impact dans les destinées en expérimentant différentes déformations de la temporalité, c’est ce que propose d’explorer la comédie Variations sur un temps, mise en scène par Julien Schmutz d’après un texte de David Ives.
Le Théâtre des Osses commence sa saison en coproduisant avec la compagnie Le Magnifique Théâtre une comédie, Variations sur un temps, mise en scène par Julien Schmutz à partir de cinq des quatorze pièces du recueil de l’écrivain américain David Ives, All in the timing. Julien Schmutz, Michel Lavoie et Maryse Warda, qui avait fait une traduction de la pièce de David Ives en québécois, en proposent ici une adaptation dans un français international.
Les cinq tableaux offrent autant de situations qui défient la linéarité du temps. Que celui-ci soit remonté, suspendu ou distordu, les événements s’en trouvent modifiés, les personnages changés, les histoires contrariées.
Ainsi, dans la première scène intitulée « Ailleurs, il y a longtemps », Laura, occupée à finir les cartons de son déménagement, s’interroge sur la réalité de son existence, sur sa présence dans l’ici et le maintenant. Elle se heurte à l’incompréhension de son mari, Tom, dont les préoccupations touchent seulement au repas du soir. Une tension s’installe entre les deux personnages qui ne communiquent pas sur le même niveau. Même le débit et le rythme de parole marquent le décalage entre eux. Tout bascule lorsque l’ancien locataire, vieil homme ployé sous l’âge, revient dans cet appartement où il vécut une grande histoire amoureuse. Cette rencontre projette Laura dans un autre espace-temps.
Les tableaux s’enchaînent, complètement dissociés les uns des autres. Il n’y a pas d’autre fil conducteur que celui d’explorer les distorsions temporelles auxquelles sont soumis les personnages, et les possibilités multiples qu’offre le décor, réalisé par Valère Girardin : un mur composé d’un ensemble de panneaux lumineux, dont certains pivotent, et qui occupe toute la largeur de la scène. Il permet non seulement de figurer les divers lieux mais aussi d’assurer la transition entre chaque scène. Tour à tour chambre, café, mini-golf, il constitue la porte sur les différents mondes, les différents temps parcourus par les personnages. Résolument électronique, la musique – composée spécialement par François Gendre – se fait complément des sauts dans le temps. Prenant parfois même la forme d’une performance artistique complète, musique et décor se fondent ensemble, dans un volume sonore parfois très élevé pour les premiers rangs.
Les costumes, créés par Eléonore Cassaigneau, sont pensés pour accompagner les comédiens tout au long de la représentation. Au gré des personnages, ils évoluent, se rallongent, se raccourcissent, se parent de poches, de cols ou de gilets. Alliés à des perruques sélectionnées par Emmanuelle Olivet-Pellegrin, ils informent sur la période temporelle traversée de manière subtile et donnent des indications sur le milieu social des personnages.
Certains personnages sont joués sur un mode caricatural – ils sont attribués pour la plupart à Yves Jenny – d’autres sont incarnés de façon plus réaliste. On regrette de ne pas comprendre vraiment ce qui justifie ici cette distinction, qui produit parfois un effet de hiatus. Dans tous les cas toutefois, le jeu repose sur des glissements subtils au sein d’une palette d’émotions saisissantes, du désespoir à l’assurance, par exemple, pour le personnage de Mark qu’incarne Nicolas Rossier, de la mélancolie profonde à la joie intense pour Céline Goormaghtigh dans le rôle de Laura ou dans la dérive de la timidité à l’audace chez Michel Lavoie et Céline Cesa.
Outre ces performances des comédiens et la scénographie ingénieuse qui permet ces reconfigurations temporelles, saluons aussi, sur un tout autre plan, la volonté du Théâtre des Osses de permettre l’accès au théâtre à un public qui n’en aurait pas l’occasion autrement en instaurant les « Billets suspendus », offerts par des donateurs (don partiel ou valeur complète d’un billet) et réattribués cette année à des mères dont la condition de vie ne permet pas le luxe d’une soirée au théâtre.