Intervalles

Par Basile Seppey

Une critique sur le spectacle :
Solution intermédiaire / Conception et mise en scène de Stefan Hort / Théâtre Les Halles à Sierre / du 15 au 25 mars 2018 / Plus d’infos

© Céline Ribordy

Stefan Hort croise deux gestes autour du mythe d’Icare : la performance musicale et le cirque. Mais plutôt que d’assimiler et de niveler les deux pratiques, la proposition du metteur en scène valaisan invite à les penser distinctement, l’un incarnant le fils, l’autre le père.

Alors que l’on prend place, deux hommes manipulent des cubes noirs : les plus petits font la taille d’une valise, les plus grands celle d’une armoire étroite. Une table de mixage à gauche ; du plafond tombent plusieurs couples de sangles. Un seul puit de lumière, zénital. Les deux performeurs travaillent pieds nus, en jeans, en marcel ou en t-shirt. Ils construisent une estrade, bancale.

L’un d’eux est Yannick Barman, un musicien qui allie les cuivres à l’électronique. Il quitte les cubes pour sa trompette, enregistre quelques boucles sonores sur lesquelles il développe une mélodie. Il joue ici de son instrument comme d’un outil, préférant les chuintements, les soufflements et les glissendi aux sons plus académiques, plus policés. Anthony Weiss, sangliste, continue l’ouvrage de son côté : sur le côté des cubes, une surface réfléchissante disperse la lumière au plafond, sur les murs. L’estrade est prête, le sangliste y monte, tout s’effondre mais il est parvenu à s’accrocher. Il s’enroule, Icare s’élève au-dessus des ruines et toise Dédale l’architecte-musicien.

Si aucun mot n’est prononcé, les différents épisodes sont pour autant identifiables. On devine comme des métaphores derrières les propositions scéniques : les cubes à surface réfléchissante permettent de matérialiser de l’évolution d’un jeu de reflets entre le père et le fils. Ces mêmes cubes placés avec leur côté mat visible serviront à cloisonner l’un des personnages alors qu’un dispositif momentané de cordes reliant les sangles d’Anthony Weiss au ventre de Yannick Barman donne à voir les liens : à chaque saut du sangliste les cordes se tendent et la trompette sursaute.

L’histoire est celle d’Icare mais elle est aussi celle de la relation d’un parent et de son enfant : on y découvre des moments de complicité, des temps de rupture ou de rejet. Les deux personnages louvoient au long de la pièce entre leurs aspirations propres et l’attirance pour leur parent. Les deux performeurs évoluent, liant et déliant musique et art du cirque. La pièce se clôt sur un mouvement épique, des sons de tambours s’allient à la trompette alors que l’acrobate virevolte au plus haut, ils performent chacun dans son langage propre, libérés l’un de l’autre mais conjoints dans l’effort.

La pièce semble inviter à penser les différences entre les pratiques et entre les personnages comme autant d’espaces de libertés. Plutôt que de faire se rejoindre les deux pratiques, de les confondre dans un même geste, le refus du nivellement, de l’aliénation de l’une par l’autre permet à Stefan Hort de présenter une pièce qui est une performance musicale et un spectacle de cirque. L’œuvre est ainsi composite mais elle garde une unité dans son mouvement. Il s’agit moins d’une histoire racontée par deux voix parfaitement synchronisées que d’une même histoire racontée différemment par deux voix. C’est dans le respect du contraste de ces deux voix que la pièce prend son ampleur, les intervalles deviennent des lieux intermédiaires où les deux forces s’acceptent, se nourrissent et prennent leur envol.