Par Coralie Gil
Une critique sur le texte de la pièce:
Ombres sur Molière / De Dominique Ziegler / Pièce créée en septembre 2017 au Théâtre Alchimic de Carouge / Plus d’infos
Dans son texte Ombres sur Molière, Dominique Ziegler décrit l’intemporelle relation de l’artiste avec le pouvoir en s’intéressant à l’affaire Tartuffe. Un hommage à Molière et au théâtre.
« L’action se déroule dans une salle de théâtre au château de Versailles, en chantier. »
Cette première et quasi-unique didascalie du texte (les autres sont très brèves, elles indiquent les humeurs, les entrées, les sorties des personnages) en dit déjà long sur l’intrigue de la pièce. Molière croit posséder sa liberté d’artiste, comme on possèderait un château aux fondations solides, résistant au temps et protégé des ennemis. Il se méprend : sa liberté est « en chantier », à l’image de la « salle de théâtre » qui lui est prêtée. Il outrepasse cette liberté en écrivant Tartuffe; alors son monde s’effrite, voire s’effondre.
Quand il s’attaque aux faux-dévots, à l’hypocrisie et plus largement à l’Eglise, Molière se trouve confronté à de vives réactions, des menaces de ruine et de mort et même le roi, son supposé protecteur, cesse de le soutenir. La liberté de l’artiste n’est jamais totale. Pour que l’œuvre puisse être lue, diffusée ou jouée, elle doit être tacitement en accord avec les valeurs de la société. La problématique a encore une forte résonnance aujourd’hui.
Le lecteur plonge dans la vie de Molière, mise en abyme par Ziegler dans une pièce moliéresque. Le langage versifié l’est à la manière du dix-septième siècle. L’hypocrisie régnante et les promesses non-tenues dont font preuve les personnages dans la vie de Molière présentée ici rejoignent le sujet interdit du Tartuffe. Et tout se déroule dans cette « salle de théâtre » même si les répétitions tardent à commencer dans ce « théâtre dans le théâtre ».
Hommage au théâtre, ici, mais aussi hommage à Molière lui-même. Ziegler le donne à voir comme colérique et révolté, à l’image de certains personnages de ses pièces. Il est le metteur en scène de L’Impromptu de Versailles quand il s’emporte contre ses comédiens, Alceste quand il a besoin de solitude pour écrire, Arnolphe de L’Ecole des Femmes quand il épouse la jeune Armande. Les pièces de Molière sont utilisées comme des indices d’un autoportrait. Ziegler y lit une autodérision du dramaturge et en fait dans sa propre pièce un personnage à la fois drôle et attachant. Il est aussi Orgon, Molière se laisse en effet séduire par son roi que tout désigne implicitement pour être le Tartuffe de l’histoire racontée par Ziegler.
Molière attire la sympathie des spectateurs de théâtre. Il est un mythe, un personnage fondateur de la tradition théâtrale française, auréolé de son statut de classique, l’ancêtre lointain pour lequel tout le monde a un certain respect. Quand Dominique Ziegler en fait son personnage principal et le transforme en héros tragique, cela ne peut qu’émouvoir. Le format court de la pièce résume plusieurs années en quelques actes. Les événements s’enchaînent très vite et le mauvais sort s’accumule sur le malheureux. Il se fait beaucoup d’ennemis, se retrouve seul contre tous et perd un enfant dans ce cours laps de temps. On se trouve face à un martyr qui s’est battu pour sa cause autant qu’il lui était possible. Molière, pour Ziegler, est un militant politique acharné. L’intérêt de ce texte est de nous rendre contemporains de Molière par un autre biais que celui de ses pièces, en inventant l’image d’un artiste dans son époque.
Au lieu de mettre en scène une adaptation de Tartuffe, Ziegler choisit d’écrire sur Molière lui-même, sur un certain combat qu’il a eu à mener dans sa vie. Ce qui intéresse Ziegler, c’est l’artiste et sa lutte au nom de la liberté. Cette liberté, idéalisée, est fragile. Elle doit sans cesse être reconquise.