Humainement animal

Par Joanne Vaudroz

Une critique sur le spectacle :
La ferme des animaux / D’après le roman de George Orwell / Adaptation et mise en scène de Christian Denisart / Compagnie Les Voyages Extraordinaires / Théâtre de la Grange de Dorigny / du 18 au 28 janvier / Plus d’infos

© Medhi Benkler

Lumière sombre sur scène. Ils arrivent et se font entendre. Ils hennissent, meuglent, braient, bêlent, grouinent ou caquettent, une allègre cacophonie toujours plus puissante est à l’approche.

Soudain c’est le silence, le sage parle. Le vieux cochon s’adresse à ses confrères d’une voix intelligible pour nous. La lumière s’éclaircit et nous les voyons à présent. Les acteurs arborent de fabuleux costumes d’animaux imposants et quelque peu intimidants. Le jeu des comédiens est précis, propre à chaque animal. Les poules avancent d’un pas saccadé et d’un mouvement de tête mécanique, comme impulsé par de légères décharges électriques. Les béliers ne prennent pas part aux discussions de la ferme ; ils suivent. Lorsqu’ils sont tous en scène, ils ont le regard vide et la manie de mâcher bêtement.  Le comportement animalier fait illusion comme si les hommes avaient pris possession du corps de leur animal ou que l’animal s’était intégré au corps de l’acteur…

La compagnie des Voyages Extraordinaires de Lausanne s’est travestie ce soir en compagnie des animaux. Fondée en 2002 par Christian Denisart et Gilbert Maire, cette compagnie joue un répertoire axé sur des thématiques expérimentales touchant aux sciences, à la géographie ou à l’humanité. Pour ce spectacle, la scénographie est signée Christian Bovey, la création lumière Estelle Becker. Dans La Ferme des animaux, publié en 1945, George Orwell, connu pour marquer ses œuvres de ses engagements politiques, utilise la métaphore animale pour rendre compte d’un certain fonctionnement presque logique du système politico-économique totalitaire. Les animaux s’insurgent contre leur maître, qui les néglige à cause de la boisson. Les boxes sont sales, les mangeoires vides et les coups de fouet sur ses chevaux vont bon train. Les animaux ne veulent plus mourir pour nourrir l’Homme, le seul être improductif. Tous s’entraident et Jones est alors évincé de sa propre ferme. Il n’a plus de pouvoir sur ses bêtes qui restent vivre dans l’exploitation agricole, un système mis en place par … les hommes. George Orwell nous le rappelle rapidement : la place du pouvoir dans la hiérarchie de la ferme ne peut rester vacante longtemps. C’est ainsi que les cochons, plus vifs d’esprit que les autres, décident de prendre en main ce système, imposant alors leur rythme, plus cruel, comme humanisé

Le choix d’aborder une telle thématique peut nous paraître au premier abord obsolète. La réflexion dénonce les régimes totalitaires liés au fascisme, au nazisme et surtout au stalinisme. Pourtant, au moyen d’un texte facile d’accès, cette pièce invite un public hétérogène à réfléchir sur l’organisation du totalitarisme. Alors que les plus jeunes dans le public prennent conscience des rouages propres à ce type de régimes, les adultes se remémorent certains événements historico-politiques, qui ne semble finalement pas si éloignés dans le temps.