Par Coralie Gil
Un entretien autour de la pièce Ombres sur Molière / De Dominique Ziegler / Le 8 décembre 2017 / Plus d’infos
Coralie Gil, pour l’Atelier critique (CG) : Pourquoi avez-vous choisi de traiter de cette thématique maintenant ?
Dominique Ziegler ( DZ) : Le problème éternel dont j’avais envie de parler dans cette pièce, c’est le problème de l’artiste et de son rapport au pouvoir. Molière était protégé par le roi et il a profité de cette situation privilégiée pour faire ce qu’il estimait être la mission du théâtre, à savoir, comme il l’explique dans le premier placet au roi, en préface du Tartuffe : de « corriger les hommes en les divertissant » . C’est cette démarche-là qui m’intéresse, celle qu’on devrait toujours avoir, nous les artistes, à l’heure actuelle. Aujourd’hui, en tout cas en Occident, la religion n’est plus aussi importante que du temps de Molière, mais elle est remplacée par l’économie et par d’autres types d’intérêts. Le geste de Molière est toujours important pour nous. Il a toujours une portée et c’est pour cela que je me suis intéressé à cette histoire.
CG : Votre point de départ était donc cette problématique centrale du rapport entre l’artiste et le pouvoir?
DZ : C’est de là que je suis parti, oui. L’histoire du Tartuffe et de sa censure m’avait toujours beaucoup intrigué mais je n’ai trouvé finalement que très peu de documents sur le sujet. Ce sont les préfaces de Georges Couton dans les anciennes éditions de la Pléiade qui m’ont beaucoup aidé. Elles sont très documentées, notamment au sujet de la place de l’Eglise dans la société de Molière, par exemple l’intérêt financier d’y faire sa carrière. Il est aussi question de l’hypocrisie, tolérée par une branche du catholicisme. Il valait parfois mieux mentir par omission et défendre une vérité plus profonde plutôt que de faire preuve d’une franchise mal placée. C’est aussi là que j’ai trouvé les documents du curé Roulé par exemple, qui appelle au bûcher pour le cas Molière. Et tout ce qui concerne la Compagnie du Saint Sacrement[i] qui a eu une grande importance à l’époque de Molière.
CG : Et Racine et Corneille se sont aussi prononcés contre Molière ?
DZ : Oui, mais pour d’autres raisons que la Compagnie du Saint Sacrement. J’ai un peu romancé cette affaire. En fait, ce qui m’intéressait, c’était un sujet toujours d’actualité, à savoir jusqu’où va le courage politique de certains artistes et où il s’arrête. Racine et Corneille n’ont pas défendu Molière, ils l’ont vraiment laissé tombé. Ensuite, je tisse des liens et même si je ne distingue plus vraiment les choses que j’ai lues de celles que je suppose, je sais qu’il y avait une vielle querelle entre Église et Théâtre. On était entré dans une zone de tolérance grâce à Richelieu, Corneille en était le défricheur, Molière le successeur et Racine l’héritier. Et Molière mettait le bazar avec son Tartuffe. C’est la raison première pour laquelle ils l’ont abandonné : pour des questions pragmatiques plus que pour des questions morales. Et donc, à nouveau, on peut en retirer quelque chose actuellement. Quand je fais une pièce de théâtre historique, j’essaie de voir en quoi elle nous parle maintenant. Cela ne m’intéresse pas de faire quelque chose de muséifié, de minéral et de dire : « Regardez comment c’était avant ! ». Non, c’est toujours intéressant maintenant.
CG : La forme versifiée s’est-elle imposée dès le début ?
DZ : Oui. J’avais envie de parler de cette histoire et comme j’avais déjà fait un certain nombre de pièces en prose sur d’autres thèmes, je trouvais qu’il était important de me renouveler. Même si tous mes textes tournent autour du pouvoir, je tente quand même de me diversifier dans les thèmes et dans la forme. L’idée était aussi de tenter de faire un hommage à Molière. Je n’ai pas fait un pastiche ou un exercice de style, ce sont mes vers à moi avec ma façon de faire les vers, mais tout en essayant de respecter les règles classiques de l’alexandrin le mieux possible. Certains critiques ont beaucoup aimé la pièce et l’ont très bien comprise mais ont dit : « Ah les vers contemporains de Dominique Ziegler ! », mais mes vers ne sont pas du tout contemporains, dans la mesure où il n’y a aucun mot ultérieur à l’époque de Molière, j’ai vérifié. Je fais moins d’inversion que Molière et il y a beaucoup de passé composé dans mes vers, je pense que c’est ce qui donne cette impression de contemporanéité. Les dramaturges classiques utilisent plutôt le passé simple. D’où le fait que mes vers soient plus accessibles. Ceux de Racine ou de Molière sont évidemment mieux que les miens mais ils sont aussi plus compliqués à saisir directement à l’oreille. Il s’agit d’une autre langue et d’un autre temps. Donc voilà, c’était un effet très involontaire de ma part : j’ai essayé de respecter les règles mais malgré moi mes vers ont une accessibilité plus grande. C’est peut-être aussi ce qui a fait le succès de la pièce.
CG : A partir de votre point de départ, cette histoire de l’interdiction du Tartuffe, Molière se transforme en véritable héros tragique – quelle ironie ! D’autre part, les évènements s’enchaînent aussi très rapidement, ce qui donne l’impression, et c’est dû au format de la pièce de théâtre, que Molière est frappé de tous côtés et seul contre tous…
DZ : En effet, il ne s’agit pas d’une pièce historique à proprement parler, c’est plutôt une fiction historique. Je voulais aussi rendre hommage au théâtre. On voit une troupe en train de travailler, les querelles, les histoires conjugales et au sein de cette troupe le courage ou non d’aller jusqu’au bout de la démarche. Et l’idée était de synthétiser cinq ans en cinq actes, grosso modo. Tous les faits sont vrais mais l’enchaînement donne une impression de dynamisme et de densité parce que j’ai tout condensé en une pièce d’une heure et demie. C’est aussi un document pour donner à connaître cette partie de l’histoire de Molière. Je pense qu’il a été un héros tragique d’une certaine manière, mais j’en ai aussi rajouté un petit peu. Il devait à la fois manœuvrer, être diplomate avec le roi et dans la pièce, je le représente très véhément et j’imagine qu’il l’était si je me base sur les portraits que lui-même nous a légué : Le Misanthrope est un autoportrait assez fascinant par exemple. De même dans L’impromptu de Versailles, une pièce très importante, un des seul cas que je connaisse où un metteur en scène se met lui-même en scène en train de mettre en scène. J’ai aussi trouvé quelques éléments biographiques dans lesquels on décrit Molière comme facilement en proie à des accès de colère.
CG : Pensez-vous qu’il y ait encore des sujets inabordables et inattaquables aujourd’hui comme c’était le cas des faux dévots dans Tartuffe ?
DZ : Oui, je pense qu’il y a toujours des thèmes tabous aujourd’hui. Faire une pièce sur Israël… Ou à un niveau local critiquer le ministre de la culture, ou ceux qui donnent des subventions. Les phénomènes de courtisanerie et de ligne rouge à ne pas dépasser sont toujours là. Je ne suis pas d’accord avec la politique culturelle genevoise et je le dis de temps en temps mais je sais que si je le dis trop souvent cela peut poser problème. Personne n’est à l’abri. C’est ce que je voulais montrer avec Molière, il est très héroïque mais il est quand même obligé de faire des concessions et d’aller chez telle duchesse qu’il a critiqué juste avant. C’est le phénomène vieux comme le monde du rapport de l’artiste au pouvoir.