Par Marek Chojecki
Une critique sur le spectacle:
La Farce de Maître Pathelin / Texte de José Pliya / D’après une farce médiévale anonyme / Création-coproduction : Le Petit Théâtre de Lausanne, L’Askéné (Suisse), Cie For (France), L’Atelier Nomade (Bénin) / Le Petit Théâtre / du 6 au 31 décembre 2017 / Plus d’infos
L’humour de La Farce de Maître Pathelin, écrite par un auteur anonyme de l’époque médiévale, semble rester immuable à travers les siècles. Le spectacle présenté en 2017 au Petit Théâtre de Lausanne fait toujours rire son public. Adaptée par José Pliya et mise en scène par Simone Audemars, cette pièce pour cinq acteurs et un musicien est conforme au genre qu’annonce son titre : une farce burlesque et haute en couleur. Mais le cadre de la pièce est situé dans un tout autre contexte.
Dès l’entrée dans la salle du Petit Théâtre, le déplacement culturel qui caractérisera la mise en scène s’affiche : les bords de la scène sont délimités par des rideaux à motifs rouge et noir de style africain, et sur le plateau, décorées de la même manière, plusieurs caisses sont disposées un peu partout. Mais c’est le sol, surtout, qui intrigue, et les plus jeunes spectateurs n’hésitent pas à s’approcher pour le toucher : un sable rougeâtre formé de gros morceaux de gommes. L’effet visuel est sans équivoque : nous sommes en Afrique.
La transposition est soutenue par deux acteurs et un musicien d’origine africaine, avec un accent très prononcé. Leurs costumes sont un mélange de couleurs chaudes, vives, voire même fluo, d’un kitch et d’une exagération clairement assumés, au point même qu’ils provoquent une certaine réticence visuelle face à cette véritable explosion de couleurs. Nous ne quittons pas pour autant totalement l’imaginaire du Moyen-Age européen, car la scène d’introduction, qui réunit, sans texte, tous les personnages, les fait jouer à saute-mouton au son d’une clarinette. Nous voici dans la cour d’un château fort, à la table d’un seigneur puissant où des bouffons font rire la salle : le ton de la farce est donné !
L’histoire semble simple : un berger est accusé d’avoir volé mille moutons à un riche propriétaire et marchand de tissus. Pour se défendre, le berger engage un avocat à la réputation douteuse, Maître Pathelin. Pathelin entame alors, poussé par sa femme, une série de fourberies auprès du riche marchand et du juge afin de s’en sortir le mieux possible – une histoire pas si éloignée que cela des Fourberies de Scapin de Molière.
Ces personnages stéréotypés se retrouvent dans des situations pleines d’humour, sur un rythme soutenu : après soixante minutes, le spectacle s’achève sans que l’on n’ait vu le temps passer. La fluidité de l’action tient notamment aux transitions très bien menées. Le musicien a ici le rôle central, jouant de fréquents intermèdes musicaux à la clarinette. Plus largement, sans être réellement un personnage, ce musicien prend part à l’action de la scène par sa seule présence. Les autres sont conscients de cette présence silencieuse, qui intrigue. Les quelques caisses sont ingénieusement déplacées régulièrement afin de suggérer différents lieux, ces changements étant exécutés à vue pendant les dialogues. Ainsi la modulation de la scène accompagne au fur et à mesure le développement de l’histoire.
Celle-ci, malgré tout, présente une certaine complexité qui n’est pas forcément aisée à comprendre pour les plus jeunes spectateurs. La dimension juridique de toute l’affaire et surtout le dénouement lors d’un procès au cours duquel presque tous les personnages jouent un double jeu rendent la situation emmêlée. Est-ce dû à une condensation du temps, paradoxalement liée à la durée prévue pour un spectacle pour enfants, ou simplement à l’histoire elle-même ? C’est peut-être aussi le fait du message qui est transmis. On peut en effet être quelque peu troublé que ce soit le voleur qui gagne, le juge corrompu qui s’en sort enrichi, alors que la victime du marchand est dupée et volée. Une morale de l’histoire questionnable, qui, bien que très drôle, peut laisser un petit goût amer. La mise en scène et le choix d’interprétation des comédiens concourent à produire ce sentiment d’injustice, la victime du marchand semblant être une bonne âme honnête qui n’a fait de tort à personne, mais qui n’a plus de prise sur la situation : il se fait duper par tout le monde. Pourtant, à part sa bêtise, dont il se rend compte lui-même, il semble n’avoir pas de défauts. On en a donc pitié, un sentiment auquel, jusqu’à la fin, on ne trouvera pas de contrepartie. C’est un peu comme si Les Fourberies de Scapin s’achevait sur des mariages malheureux et l’emprisonnement de Scapin. Nous n’avons pas (ou plus) l’habitude, dans la comédie, de voir la méchanceté impunie.
La Farce de Maître Pathelin en Afrique, c’est un mélange culturel et un mélange d’énergies qui ne peut que faire rire. Toutefois, les ressorts de la « morale comique » ont évolué depuis le Moyen Age, et ce spectacle fait donc un choix intéressant d’aller à l’encontre du fonctionnement auquel nous sommes habitués, dans lequel le « bon » triomphe. Ici il s’agit de rire du malheur des autres : ce qui prouve qu’il n’est pas besoin d’adhérer à la morale d’une farce pour en rire.