André le Magnifique
De Denis Podalydès et al. / Mise en scène d’Antony Mettler / Théâtre du Grütli / du 1er au 17 décembre 2017 / Critique par Lucien Zuchuat.
Prince de sensibilité au royaume des histrions
7 décembre 2017
Par Lucien Zuchuat
Au théâtre du Grütli à Genève, Antony Mettler s’entoure de quatre comédiens pour proposer un André le Magnifique empruntant largement au vaudeville. Pierre Aucaigne éblouit en clown lunaire. Le reste, tissé d’humour épais, peine à décoller.
Libre à chacun d’apprécier son « grand-guignol », sa comédie pompière et colorée : une partie du public a d’ailleurs ri. Et de bon cœur. Mais une autre est restée placide, ne répondant que mollement à la succession de gags – assez attendus – qui défilaient sur scène. Deux spectateurs ont même quitté la salle après la première demi-heure.
Car on est agacé autant que l’on rit devant cette joyeuse et épaisse pastorale. À quoi tient donc cette impression confuse ? À la variété des niveaux de jeux que propose le spectacle (passant de la tendresse du clown aux lourdes ficelles du vaudeville villageois) ? Au fait que le nom de Podalydès (un des cinq auteurs) et les cinq Molières qui sont venus récompenser la pièce lors de sa création en 1996, laissaient espérer quelque chose d’autrement original, sinon de grandiose ?
Du théâtre dans le théâtre
Il est vrai que ce texte vif et joueur a de quoi charmer, surtout pour qui aime le théâtre et son histoire. Que raconte-t-il ? Encore tout ébloui par la venue de Gérard Philippe dans sa petite bourgade, un maire un peu rustre (incarné par un Alexis Kohler coincé dans ses grimaces) décide de monter « son » épopée chevaleresque : il réunit ses amis, retape le vieux théâtre, écrit une pièce et engage un très officiel acteur parisien sur le déclin (Antony Mettler lui-même, épique dans ses tirades surénergisées mais dont l’accent parisien se mâtine très vite d’échos genevois). Ils y mettent tout leur cœur et, passées les péripéties plus ou moins farcesques (les toilettes qui ferment mal, les costumes trop larges, la star qui « disparaît ») et les inévitables tensions amoureuses calquées sur la non moins inévitable trinité « mari-femme-amant », tout finit bien : le « méchant » parigot finit dans les égouts et André, humble jardinier municipal, assure sa partition in extremis. Du théâtre dans le théâtre… on pense au Shakespeare de Hamlet et du Songe ou, dans un registre plus récent, aux réalisations merveilleuses d’Alexis Michalik, lui aussi officiellement « moliérisé ».
Mais voilà… les bons sentiments ne font pas nécessairement de bons spectacles. Ici, et en dépit de l’énergie déployée par les acteurs, l’enchantement des personnages devant le Théâtre ne passe pas la rampe. Au-delà de quelques plaisanteries bien pensées et de moments de tendresse dont nous gratifient la sincère maladresse d’André et l’amour que les cinq protagonistes portent à la scène, les ressorts comiques d’André le Magnifique, jouant de quiproquos attendus et abusant des clichés sur le théâtre, sont assez convenus. Et la mise en scène empâtée, qui prend le texte au premier degré, ne permet pas d’envolées : accent du Sud censé marquer son provincial, effets sonores maladroits et redondants, bruitages annonçant l’arrivée des personnages sont autant d’éléments qui concourent à briser l’enchantement.
André, magnifique malgré tout
Reste une lueur, et des plus belles: mi-Villeret, mi-Bean, il tire maladroitement sur son débardeur, accompagne ses bégaiements du mouvement rond et bondissant de ses doigts, s’amuse (et nous amuse) avec un sérieux d’enfant dans ce petit théâtre qu’il chérit : c’est André, sublime de tendresse et d’humour dans la version clown lunaire de Pierre Aucaigne. Et cet André-là est magnifique qui flotte loin du cabotinage ambiant.
7 décembre 2017
Par Lucien Zuchuat