Par Valmir Rexhepi
Une critique sur le spectacle:
Passion simple / D’après Annie Ernaux / Cie Émilie Charriot / Théâtre de Vidy / du 7 au 22 novembre 2017 / Plus d’infos
Un espace presque nu, habillé uniquement d’une dentelle de lumières, une passion qui se tisse et s’écoule, qui s’incarne dans la bouche, comme un creux que laisse l’absence. L’histoire d’une femme qui attend un homme. On attend avec elle.
C’est une musique qui commence de me prendre bien avant l’entrée dans le théâtre, une chanson de Joe Dassin comme suintant par les murs de la salle, jusque dehors, suivie d’autres qui me berceront lorsque je serai assis, longtemps. Des chansons d’amours déçus, fantasmés, vaches aussi. Çà et là sur les sièges dodelinent des têtes, comme autant de capteurs d’une ambiance qui s’installe. Sur la scène, l’estrade et les chanteurs – Billie Bird et Marcin de Morsier – s’évanouissent dans le fond ; commence alors autre chose, une parole portée d’abord par une fille, Nora, une histoire de pieuvre géante et de traque.
Fixe, prise dans une lumière molle, face à nous elle dit. Et part. Des bruits de pas annoncent cette autre, Émilie Charriot, qui adoptera la même position que Nora. La lumière devient une sorte de flaque dans laquelle celle qui parle s’enfonce. Par la suite, cette lumière se mue en cage, cercueil, puis firmament et rythme ainsi la pièce. Elle : un personnage sans nom que campe la comédienne. Peut-être la narratrice.
L’histoire d’une femme qui raconte qu’elle attend un homme et qu’elle n’est, au sens sartrien du terme, que dans la présence de celui-ci : l’histoire que raconte le livre d’Annie Ernaux. Pour peu, on fermerait les yeux et de spectateur, on deviendrait auditeur. Ce rapport à l’absence qui est thématisée dans le livre trouve sur les planches un relais intéressant : on y représente ce qui est absent, doublement. D’abord cet homme, A., qui n’existe que dans les mots du personnage sur scène, qui nous est donné à voir, à vivre dans toute son absence. Puis cette femme, là sur scène, qui incarne dans la lumière le point de vue que la lecture du texte nous demande d’adopter. Mais quelque chose de plus se passe, quelque chose qui nous rappelle à l’ordre du théâtre : les mouvements de mains, légers, comme une danse timide ; le balancement de la tête pris peut-être dans celui des marées qui obéissent à la lune ; un sourire comme un soupir. Autant d’éléments, qui permettent de rendre le texte vivant.
On regarde, on est pris, doucement mais irrémédiablement happé par ce qui se joue, par cette femme qui montre sa passion. Par cette passion qui prend forme dans la voix comme un fleuve, dans ce corps comme un arbre. C’est le théâtre, peut-être, d’une Pénélope sans prétendant qui tisse en attendant Ulysse.