Par Basile Seppey
Une critique sur le spectacle:
Centaures, quand nous étions enfants / Texte et mise en scène de Fabrice Melquiot / Chorégraphie équestre de Camille & Manolo / Théâtre Am Stram Gram / du 3 au 5 novembre 2017 / Plus d’infos
« Dans cette histoire on ne parle pas de la Corée du Nord, des ouragans ou des gens qui ont des taches de rousseurs, même si ce sont des sujets intéressants. » Non, l’histoire sera celle de Manolo et de Camille, couple fondateur du Théâtre du Centaure, une compagnie de théâtre équestre à Marseille : un portrait scénique par Fabrice Melquiot.
Au début, seul un cheval de bois occupe la scène. Il se déplace, comme par magie, et fait place à Manolo et Camille. Ils ne parlent pas tout de suite. Des images courent sur un immense écran au fond de la scène. Elles ont du grain, ce sont les vidéos d’enfance et de vacances des deux comédiens. Ils prennent la parole, se présentent l’un l’autre. Puis deux voix d’enfants se font entendre, elles racontent leur première rencontre. Ils étaient jeunes, ils avaient des choses à vivre, il se sont donnés rendez-vous, dans une vingtaine d’années, à la Mosquée de Paris. Leur histoire est une histoire d’amour.
Alors les comédiens nous présentent leurs complices, deux chevaux absolument magnifiques : Camille nous présente Gaïa, un frison hollandais souple et robuste ; Manolo introduit Indra, un étalon pure race espagnole, d’une aristocratique élégance. Dorénavant ils seront quatre sur scène pour raconter et montrer la naissance du Théâtre du Centaure.
Parce qu’ils se sont retrouvés, vingt ans après, à la Mosquée de Paris. Elle est partie vivre en Indonésie quelque temps, et lui vit dans un camion Iveco, avec un cheval. Ils décident de s’aimer. Commencent ainsi leurs aventures communes. Les débuts, comme souvent, sont difficiles : il fait froid, ils n’ont pas grand chose. Mais puisqu’ils s’aiment, ils parviennent à surmonter les épreuves et à constuire leur utopie, un lieu où les hommes et les animaux vivent ensemble.
Il s’agit d’un rêve dont ils ont fait leur réalité, de deux mythes qu’ils ont combinés et matérialisés : celui du centaure et celui de l’androgyne. Car Camille et Manolo ne se sentent entiers que lorsqu’ils sont pluriels, lorsqu’ils sont centaures. Aussi est-ce sur leurs chevaux, à cru, presque sans toucher à la bride, que les deux comédiens retracent leur parcours. Il ne s’agit pas vraiment d’acrobaties, rien de trop de spectaculaire, mais plutôt de danse, de musique de corps en symbiose. Et l’on y croit parfois, à ce corps double qui raconte et qui montre son histoire, en disséminant au sein de cette dernière diverses pastilles poétiques : il y a de la video, du chant, de la danse, une histoire fantastique, celle de Marguerite qui, à la nuit tombée, se transformait en biche. Elle fut tuée par son chasseur de frère, dépouillée, dépecée et dégustée par toute la famille. Le message est clair : lorsque Manolo dénoue les tresses de Camille, celle ci dénoue celles de Gaïa.
Mais, si les comédiens disent appartenir à ces chevaux, comment la présence même d’une bride, et l’utilisation, aussi discrète soit-elle, qu’ils en font, ne leur paraît-elle pas obscène ? Comment croire à l’évidence d’une reconnaissance entre l’homme et l’animal lorsque Manolo relate les circonstances de sa rencontre avec Indra comme s’il parlait de sa liste de commissions : Je cherchais un cheval dans le genre tauromachique ? Le sentiment d’une sorte de mensonge se dégage de la scène. Alors que le spectacle se donne comme une ode célébrant les chevaux, leur supériorité sur les hommes, évidemment toujours vils et vénaux, les quadrupèdes n’en sont pas moins instrumentalisés. Certes les comédiens guident les deux bêtes par leurs crins, très délicatement, très discrètement il faut en convenir, mais plusieurs moments, dans la performance de ces centaures, forcent les chevaux à adopter un comportement presque humain. On les fait s’asseoir sur des fauteuils ou se coucher l’un à côté de l’autre, d’une manière qui se veut amoureuse. Mais les chevaux, ce soir là, avaient peur de s’asseoir, de mettre tout leur poids, et celui de leur cavalier sur leurs pattes arrières. On sentait l’hésitation, la fébrilité, la peur devant l’exercice qui leur était commandé. Et lorsqu’en se couchant ils se font mal l’un à l’autre et se relèvent, on recommence… Le goût est amer, comme au cirque.
Centaures, quand nous étions enfants se donne à la fois comme un portrait et comme une sorte de conte qui nous invite à questionner tant la part d’animal tapie en nous que celle d’humanité que nous projetons sur les animaux.