You & Me / Par les Mummenschanz avec Floriana Frassetto, Christa Barrett, Kevin Blaser, Sara Hermann, Oliver Pfulg / Direction artistique : Eric Sauge / Théâtre du Jorat / du 30 mai au 4 juin / Plus d’infos
Le soleil rose déclinant sur le champêtre Théâtre du Jorat est un cadre idéal pour le retour des Mummenschanz, teinté cette fois de romantisme, sur le thème de la rencontre et des attirances entre le You et le Me. Le public, venu en nombre dans l’abyssal espace joratien, frissonne et attend – bouche en cœur – les instants féeriques bien connus des tuyaux plissés et autres hommes pieuvres. Mais les Mummenschanz ont-il, après quarante ans de tournée, conservé leur prestige ?
Mesdames, Messieurs, tendez bien l’oreille ! Qui de nous donnera au plus vite la définition de Mummenschanz ? Alors ? Le moyen-haut-allemand nous est d’une aide précieuse et nous indique que schanz désigne le jeu de dés et Mummen l’accoutrement, le déguisement étrange. En somme, la rencontre hasardeuse de formes particulières. Nous y voilà.
Le terme prend le sens, dans nos contrées, de mascarade : un divertissement, fort de musique, de danse et de poésie, construit autour de scènes mythologiques, satiriques ou burlesques aux personnages masqués. Grâce à cet amalgame des arts de la scène, les Mummenschanz décrochent d’ailleurs plusieurs fois la palme du public, notamment à Broadway dès 1977 avec Bernie Schürch, Andres Bossard et Floriana Frassetto aux commandes. Cette culture visuelle a fait fureur et c’est ce dont chacun se souvient à l’arrivée de deux énormes mains bleues sur la scène, caressant la tête de leur cher public qui piaffe d’impatience. Dans la salle, on s’enorgueillit d’avoir vu les Mummenschanz quarante ans auparavant. Mais est-ce la tradition qui porte ce spectacle, ou y a-t-il une vraie nouveauté ?
Bernie Schürch a légué le flambeau au danseur chorégraphe Philipp Egli et, parfois, on devine de frêles débuts de chorégraphies rythmant les allées et venues des comédiens emmitouflés dans de grandes formes animées en mousse et en tissu plissé. Le spectacle s’articule autour de l’apparition et de la disparition d’êtres originaux : une feuille d’arbre géante, une girafe à la mâchoire désarticulée, une méduse rose et son compagnon en bleu, un énorme œuf menaçant de rouler dans la salle, des fleurs et des créatures aquatiques… C’est un saut dans l’enfance et le jeune public dans la salle, tout comme les grands-parents, laissent échapper de nombreux soupirs d’admiration. Comme lorsque nous contemplions les ombres chinoises défilant sur notre lampe magique, notre regard balance pendant le spectacle de gauche à droite. Soit, mais il faut tout de même relever qu’un tuyau qui se remue sur scène avec une boule rose à son sommet nous fait dériver sur un autre terrain.
Les allusions douteuses à une sexualité qui s’épanouirait entre le You et le Me reviennent sans relâche. Certes, c’est drôle mais la joie cesse rapidement lorsque l’on remarque, à plusieurs reprises au cours du spectacle, que le rôle des couleurs du rose féminin au bleu masculin n’a pas évolué depuis les années 80 et que l’on offre des chocolats Femina aux danseuses en fin de partie sous les applaudissements du public. Ces rappels du féminin-masculin sont particulièrement redondants lorsque les fleurs s’ouvrent à tout va dès qu’un manche en carton-pâte qui gigote les approche.
Les êtres aquatiques qui surviennent nous rappellent les profondeurs d’un lac helvétique aux silures démesurés, tout comme l’accompagnement sonore (une nouveauté pour cette troupe!) mi-africain mi-hip-hop fait surgir tout un monde d’adolescents et de danseurs en effervescence: c’est un délice. Toutefois, on aimerait que ces évocations-ci soient plus appuyées et marquées par une finesse d’esprit à la hauteur des images qui peuplent notre esprit. Certes, on apprécie les jeux d’éclairage qui transforment une roue de carton en machine folle aux rouages déréglés à deux doigts de l’explosion mais n’y avait-il rien d’autre que des bâches de plastique pour simuler les tentacules d’un calamar géant ? Force est de constater que le spectacle tourne hélas parfois réellement à la mascarade et on se détourne rapidement des danseurs déguisés en petites racailles qui font des selfies à tout va. Cela fait rire les enfants mais…T’en souvient-il, cher public, nous contemplions les grands battements d’ailes de papillon à la belle époque… Je me demande pourquoi, depuis les prouesses de Loïe Fuller, le monde des mimes et des turbans n’a pas pris son envol.