Un vaudeville à l’Arsenic ?

Par Laura Weber

La Cagnotte / De Eugène Labiche / Mise en scène Clémentine Colpin et Christian Geffroy Schlittler / L’Arsenic / du 17 au 21 mai 2017 / Plus d’infos

© Renaud Pidoux

La Cagnotte présentée à l’Arsenic nous plonge dans la fiction d’un projet collectif qui ambitionnerait d’adapter un classique du théâtre vaudevillesque d’Eugène Labiche. Tous formés à la scène contemporaine, les acteurs et metteurs en scène prennent le parti d’aborder une pièce étrangère à leur répertoire habituel. Ce regard neuf propose une version inattendue et vivifiante, très éloignée de la comédie originale.

A première vue, il est difficile d’établir un lien entre la pièce d’Eugène Labiche, écrite en 1864, et la mise en scène de Clémentine Colpin et Christian Geffroy Schlittler. En passant par un processus d’adaptation, la troupe aboutit à un questionnement sur les ressources mêmes du théâtre contemporain, en dialogue avec la forme du vaudeville, son mécanisme bien huilé, rythmé et d’une grande efficacité comique. Certes, quelques ressorts cocasses caractéristiques du genre sont singés, comme certaines maladresses : un personnage trébuche sur une plante verte après plusieurs mises en garde, un autre s’écrase le nez contre un mur (invisible). Mais la mise en scène reste très distancée de l’œuvre originale. Le texte et l’intrigue sont étonnamment délaissés dans cette adaptation. Aucune trace du groupe provincial petit-bourgeois qui dans la pièce de Labiche arrive à Paris et enchaîne les aventures toutes plus extravagantes les unes que les autres. A la place, les comédiens incarnent une bande d’acteurs et nous embarquent dans des temps et des espaces autres, ceux qui précèdent le moment de la représentation, nous invitant ainsi au cœur du travail de création théâtrale. Dans ce dispositif de théâtre dans le théâtre, l’envers du décor devient la matière première de la pièce.

Dans cette version de La Cagnotte, la limite entre espace réel et espace fictionnel est constamment soulignée et déconstruite. La vaste scène, sobrement décorée d’une banquette circulaire recouverte d’un tissu satiné aux broderies dorées et d’un lustre cristallin au-dessus, est divisée en différents espaces dessinés à la craie, marqués au scotch noir ou encore délimités par les jeux d’une lumière projetée. Ces frontières demeurent pourtant fragiles et peuvent être traversées, rompant ainsi l’illusion. Ces infractions dans l’espace imaginaire sont accentuées par la réaction des autres personnages : Aurélien reste ébahi lorsque sa collègue traverse le mur – matérialisé par une simple ligne de scotch – qui délimitait la salle dans laquelle ils discutaient de la représentation à venir. Ce dernier a beau essayer de l’imiter, il parvient seulement à se faire mal au nez. On joue ici avec les codes scéniques comme avec les spectateurs, tantôt houspillés par un personnage lorsqu’ils rient, tantôt ignorés alors même qu’ils traversent la scène pour se rendre sur les gradins. Sur une tonalité enjouée et ludique, cette adaptation de La Cagnotte déjoue toutes les attentes tant au niveau du propos qu’au niveau de la mise en scène qui se joue constamment d’elle-même.

L’espace dépouillé, à même de mettre en lumière tout le dispositif théâtral, révèle aussi les intentions du projet : il ne s’agit pas d’adapter une pièce vaudevillesque mais de questionner les possibles du théâtre contemporain en dialoguant avec un autre genre. Ce parti-pris d’une scène dénudée permet également de sauter rapidement d’une situation à une autre, toutes liées aux trajectoires personnelles ou collectives des différents comédiens-personnages, comme lorsque Viviane nous emmène dans le souvenir d’une répétition désastreuse à l’école de théâtre de Porrentruy ou lorsqu’Aurélien se confie dans une auto-psychanalyse drolatique. Les situations s’enchaînent, se superposent et se répondent parfois dans une orchestration d’apparence chaotique mais pourtant rigoureuse.

La mise en scène dirigée par Clémentine Colpin et Christian Geoffroy Schittler a de quoi donner le tournis, mais un tournis grisant. Les inconditionnels d’Eugène Labiche y verront peut-être un geste iconoclaste mais c’est sans doute dans le rythme effréné, enchaînant les situations farfelues que le vaudeville est ici brillamment revisité, au travers des codes scénographiques contemporains.