Par Thomas Cordova
Feu la mère de Madame et Les Boulingrin / La première de Georges Feydeau ; la seconde de Georges Courteline / Théâtre de Carouge / du 02 mai au 21 mai 2017 / Plus d’infos
Un appartement en flammes, un chien qui hurle, le vin qui gicle, des claques qui partent : voilà la tourmente conjugale dans laquelle nous emmènent ces deux créations de début de siècle reprises aujourd’hui par Jean Liermier.
Ah Vaudeville, mon cher vaudeville… Il nous prend nos travers, nos défauts, nos lubies et nous les recrache au visage avec toute la puissance, la subtilité et la grâce grinçante d’un orchestre symphonique de scies à métaux sur des tuyaux de radiateurs. Et cela nous fait rire. Mieux, cela nous défoule. Car oui, toute la catharsis du vaudeville réside dans cette jubilation tribale provoquée par la contemplation de notre petitesse poussée à l’extrême. Et sur scène, cette médiocrité, portée par le talent des comédiens, le goût du bon mot et la géniale absurdité des situations, devient alors grandeur. Voilà pourquoi l’on ne peut rechigner à se gaver de ce genre de théâtre du plus viscéral des styles.
Les deux pièces nous emmènent donc chez deux couples de bourgeois et tournent, bien évidemment, autour de tout ce qu’un couple peut avoir de ridicule. D’un côté, chez Feydeau, la virilité dans toute sa splendeur de gaucherie face à la fragile féminité dans la conscience de sa décadence. De l’autre, chez Courteline, l’incomparable force de destruction massive d’un couple qui a passé trop de temps dans l’espace infernal de la vie conjugale. Le tout gesticule, crie, mais dans une grâce toute propre au genre. Les personnages sont drôles par leur aspect caricatural et sont joués avec une grande dextérité par les quatre comédiens. Surtout qu’ils passent d’un rôle à l’autre en quelques minutes avec une justesse minutieuse et dans un écart d’interprétation énorme bien que les rôles diffèrent grandement d’une pièce à l’autre. Écart qui s’ajoute à toute l’entreprise comique du spectacle par la surprise de voir un même comédien interpréter un personnage aussi différent.
Oui, car le spectacle est drôle et le vaudeville fait encore rire même si les deux pièces ne sont plus d’une rose jeunesse. Et la question de se poser : quelle est la source de ces gloussements, de ces éclats hilares, de ces rires francs et jaunes ? Eh bien, la réponse réside peut-être dans le fait qu’il existe encore un trait d’actualité dans l’exagération des caractères représentés sur scène ; un fil ténu qui nous relie toujours à ces monstres bourgeois du début du XXe siècle. Effrayant ? Mais non, c’en est peut-être même rassurant, l’être humain ne change finalement pas aussi vite que l’on veut bien le croire et puis, puisque je vous dis que c’est hilarant.