Par Artemisia Romano
Hamster Lacrymal / De Pierre Isaïe Duc et la Cie Corsaire Sanglot / TLH, Sierre / Du 30 mars au 9 avril 2017 / Plus d’infos
Mettre en scène la pensée et rendre compte de ces multiples voix intérieures qui nous habitent au quotidien : tel est le pari lancé par Pierre Isaïe Duc et la Cie Corsaire Sanglot dans Hamster Lacrymal, présenté en première au Théâtre Les Halles à Sierre.
Hamster Lacrymal, c’est un monologue ininterrompu d’un homme en maillot de bain et manchons, dont les pensées se télescopent, se succèdent. On passe du coq à l’âne, pour revenir au coq. Les pensées défilent, et s’enchevêtrent surtout. Le récit est dénué de toute logique, de tout ordre, inscrit dans une forme de théâtre de l’absurde. Les scènes défilent sous nos yeux : il décide de compter jusqu’à sa mort 1..2..5..18..23..30.., fait les gestes routiniers matinaux et court dans tous les sens en commentant ses mouvements tel un présentateur sportif. Tout en coupant ses oignons frais, il imite une femme qui lui susurre des mots doux en finlandais, il écoute les nouvelles inquiétantes à la radio dont la seule note positive provient de la Bourse. « Je suis très inquiet ». Il cherche son portable et met la maison sens dessus dessous, ne le trouve pas et finit par appeler le docteur. Cet enchaînement de scènes décousues amène un ton loufoque et comique mais révèle aussi en toile de fond une angoisse amère, celle de la course à la vie, des médias qui nous submergent, et de la solitude aussi: « nous sommes seuls, ensemble ».
Sur scène : une douche d’un côté, un frigo de l’autre, une table et des chaises, un fauteuil, un lit double au fond ; un intérieur banal, en somme. Mais plus surprenant, une ligne de natation et un plongeoir. Et c’est sur ce même plongeoir que va s’installer le premier doute : sauter ou ne pas sauter ? « Allez, saute, faut aller de l’avant, faut pas reculer, non faut aller de l’avant, faut pas rester en arrière, c’est les nuls qui reculent ». Mais il ne grimpe pas, pas tout de suite. La vie est-elle une course ? Hamster Lacrymal rappelle la figure associée à ce petit rongeur qui mène une course folle sur sa roue, qui tourne en rond sans but précis et qui pleure. Une métaphore qui sert de miroir à nos vies contemporaines, souvent affolantes. C’est le bruit du monde qui résonne dans notre for intérieur.
Car c’est aussi le corps qui est mis en lumière. Le rapport entre son extériorité et son intériorité, entre le soma et la psyché. Le personnage a mal à la nuque, symbole ici du lien entre le corps et l’esprit. C’est par la matérialité même de ce corps qu’il vit toutes les inquiétudes du monde : « je suis au centre et je veux aller vers l’extérieur, ou suis-je à l’extérieur et je veux rejoindre le centre ? » ou encore « je suis, je fuis, je me fuis, je me suis ? ». Des questions posées frontalement : comment se positionner soi-même?
Toutes ces pensées sont exprimées sous forme orale. Ce sont de véritables voix intérieures parlées que l’on entend, comme une conversation que l’on a avec soi-même. Le spectacle s’inscrit dans le registre de la « poésie sonore », où l’esprit volatile du personnage est toujours accompagné par un visuel et un fond sonore : un autre homme avec la tête de Doris Leuthard faisant des accords à la guitare, le bruit de la cafetière ou encore ce même homme, cette fois au visage de plante exotique, jouant des sons de contrebasse.
La force de ce spectacle ? Celle de jouer autour de l’absurde, du burlesque et de la quasi folie pour rendre compte de questions sérieuses et contemporaines. Le personnage finit dans une explosion de je (« je suis une armoire japonaise, je suis inquiet, j’ai mal à la nuque, je suis nul, je, je…. ») le faisant plonger la tête dans un frigo qui s’enfume. Il se relève, en silence, la tête encore embrumée, et monte ensuite sur le plongeoir pour regarder là-haut et demander « y a quelqu’un ? ». Le trop d’individualisme lui aurait-il fait perdre la boule ? Car c’est peut-être au travers du partage que l’on peut apaiser nos maux.