Mon chien-dieu

Mon chien-dieu

Texte de Douna Loup / Mise en scène de Joan Mompart / Co-production: Llum théâtre, Le Petit théâtre, L’Arsenic et le Théâtre Am Stram Gram /  Le Petit théâtre / du 25 au 30 avril 2017 / Critiques par Laura Weber et Céline Conus.


25 avril 2017

Espaces imaginaires

© Philippe Pache

Après Ventrosoleil (2014), Douna Loup et Joan Mompart s’allient une nouvelle fois afin de créer une pièce pour la jeunesse, Mon chien-dieu, au Petit théâtre et à l’Arsenic. Une mise en scène éthérée, faisant la part belle à l’imaginaire, met en valeur cette pièce capable de toucher une large audience, pourvu que celle-ci accepte un instant, non pas de s’abaisser, mais de s’élever au regard de l’enfant.

Mon chien-dieu raconte l’histoire de deux jeunes, Zora et Fadi, qui se rencontrent en vacances. Pour contrer l’ennui, ils explorent les environs et trouvent un chien mort qu’ils enterrent. Plus tard, ils le découvrent ressuscité et le nomment Anubis comme la divinité funéraire égyptienne qui accompagne les morts dans leur trajet vers l’au-delà. Mais dans la pièce de Douna Loup, mise en scène par Joan Mompartle dieu à la tête de chien prend surtout soin des vivants en les rendant « très-vivants », explique Zora, dans un état comparable à celui d’une araignée sur une toile, attentive au moindre bruissement, les sens en alerte. Grâce à cette disponibilité au monde, les événements les plus tragiques, comme l’accident du grand-père de Fadi, sont présentés d’une manière pure et poétique. Le spectateur se détache de ses connaissances préalables et mobilise son imaginaire pour appréhender l’univers représenté : il ne s’étonne pas qu’Anubis, le chien, soit représenté par un câble et une ampoule.

Sur la scène, composée d’un plateau et d’un mur blancs ainsi que d’une grande toile transparente suspendue par deux câbles, un univers se dessine à l’aide de peinture bleue. Le décor devient le support sur lequel les personnages construisent eux-mêmes leur expérience. Des traces de peinture et de pigment bleu en poudre parsèment le sol et la bâche, formant comme une éclaboussure. L’espace scénique, dénué de décor figuratif, est pourtant transformé par des dessins ajoutés au fur et à mesure par les deux personnages. De simples formes constituées de quelques traits schématiques : un soleil, un arbre, une maison ou encore quelques mots inscrits comme « le chien » ou « le baiser » servent de cadre à ces pérégrinations créatives. Grâce à des jeux de lumière, les silhouettes des personnages aux contours flous semblent danser avec la lumière bleue projetée sur la toile. Cette mise en scène, qu’on ne peut réduire à une description visuelle, passe avant tout par le mouvement et la transmission de sensations ; elle repose sur l’investissement imaginaire des personnages et des spectateurs.

Il faudrait parler d’un trio d’acteurs plus que  d’un duo dans Mon chien-dieu. Laurent Bruttin, en charge du prodigieux dispositif sonore, se tient à gauche de la scène avec une table de mixage et ses instruments. Les sons produisent une atmosphère plus qu’une mélodie. Ils sont enregistrés en live puis retravaillés – des échos s’y superposent – le musicien accompagnant la performance des acteurs tout au long du spectacle. Ce procédé permet une rencontre intime du jeu et de la musique. Les personnages évoluent dans un ballet orchestré par le musicien et la bâche ondoyante bleutée s’invite dans la danse en se mouvant au rythme des sonorités.

Introduit dans l’espace merveilleux de l’imaginaire enfantin, le spectateur abandonne dans Mon chien-dieu ses convictions et ses certitudes rigides et sèches, construites par le savoir rationnel, pour adopter la perception candide de Zora et Fadi. Leur attitude offre un nouveau moyen d’appréhender le monde avec poésie et simplicité. Finalement, c’est peut-être les adultes qui tireront le plus de leçon de Mon chien-dieu, tant est valorisé dans cette pièce le regard de l’enfant, créateur de son propre univers.

25 avril 2017


25 avril 2017

Les mots bleus

© Philippe Pache

Se souvient-on, adulte, de tous ces moments où notre esprit est parti chercher des réponses ailleurs que dans la vie réelle, ailleurs que dans la bouche des grandes personnes qui parfois ne savent pas expliquer ? Deux enfants perdus dans le grand bleu de leur imagination stimulée par l’ennui, au cours d’un été où il ne se passe rien. Une aventure qui se dessine au fur et à mesure d’un voyage qui se veut initiatique. Combien existe-t-il de façons d’apprendre la vie ?  

S’il devait rester un souvenir de cette pièce, il serait bleu. La couleur est omniprésente. En arrivant dans la salle, déjà, le regard est attiré par la grande trace de peinture bleue qui larde le fond de scène immaculé. Mouvant et laissant passer la lumière, il sert de feuille de dessin aux enfants qui y peignent les moments clés de leur aventure, comme autant de chapitres importants, comme autant d’étapes. Parfois, tel un théâtre d’ombres chinoises, il laisse deviner les silhouettes, créant alors un effet de lointain, de caché. Que se passe-t-il derrière l’écran de notre imagination ?  Sur la scène, blanche elle aussi, des morceaux de bleu qui crissent sous les pas, un tas de pigment bleu dans un coin de la scène. C’est une scène-tableau.  L’excellent musicien Laurent Bruttin, installé sur le côté de la scène, crée, peint un véritable univers sonore, en osmose totale avec ce qui se passe sur le plateau. Ses pinceaux sont la clarinette ou le xylophone et toute une batterie d’outils électroniques lui permettant de multiplier les sons et de varier subtilement les atmosphères.

Les images peintes sur la toile et celles peintes par les sons installent un dialogue merveilleux qui créée un monde, une danse subtile et éthérée entre la réalité et l’imaginaire. C’est dans cette atmosphère qu’évoluent avec grâce Zora et Fadi, progressant dans cette aventure estivale marquée par un événement singulier: un chien mort qui ressuscite et qui, grâce à son pouvoir divin les rendra « très vivants », comme l’explique Zora.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce spectacle où l’imagination est reine. Il n’y a rien et pourtant il y a tout. Rien sur la scène, pas de décor, juste une couleur. Ce bleu, reposant les yeux, instaure un calme propice au vagabondage des pensées. Le public est entraîné par ces deux enfants qui découvrent l’amitié, l’amour naissant, le baiser et la mort, celle du chien et celle du grand-père de Fadi. Ils réinventent le monde et les règles dans un système à la fois logique et poétique, un monde qui se tient, en marge du nôtre. C’est un conte qu’a écrit Douna Loup, une histoire pour enfants où les enfants sont pris au sérieux.  Il aborde les grandes questions, celles qui restent des questions à l’âge adulte. Et l’idée n’est pas de leur apporter à tout prix une réponse, ou d’écrire une jolie fin qui ne fasse pas peur. Le spectacle propose une autre voie possible pour parler de la vie : l’imaginaire, cet efficace outil de compréhension. Quel que soit notre âge, lâchons pour un moment toutes nos certitudes et répondons à l’invitation qui nous est faite : un magique et profond ressaisissement du monde.

25 avril 2017


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