par Jérémy Berthoud
Mourir, dormir, rêver peut-être / De Denis Maillefer et le Théâtre en flammes (CH) / Arsenic / du 25 avril au 2 mai 2017 / Plus d’infos
Autour de deux corps, quatre croque-morts s’installent et témoignent de leur expérience avec la mort mais aussi – et surtout – avec la vie, abordant avec simplicité, émotion et sincérité ce point de passage que nous finirons tous par franchir.
Deux tables de part et d’autre du plateau. Un corps, dissimulé par un drap blanc, sur chacune d’elle. Quatre individus entrent, les habillent et les préparent pour l’enterrement. Petit-à-petit, chacun se laisse aller à la confidence. L’une peine à assumer son métier de croque-mort. Une autre aime tisser une relation de confiance entre le défunt et elle. Un autre s’est construit mentalement un plan de Lausanne où les rues, les bâtiments, sont associés à une levée de corps ou à une nuit d’amour. Après ces quelques témoignages, un par un, ils passent devant une caméra placée sur scène, leur image étant projetée sur écran, et nous racontent ce qui va leur manquer une fois qu’ils seront morts. Nous ne sommes plus au théâtre : sur l’écran est projetée en direct l’image d’une caméra de surveillance de la cathédrale de Lausanne ; on y voit le soleil se coucher progressivement, le temps s’écouler normalement, ce qui atténue cette impression d’être hors du temps que l’on ressent parfois lorsqu’on va voir un spectacle. En somme, nous assistons en direct à un documentaire qui donne un visage, une voix, une humanité à ceux qui travaillent au quotidien avec les morts et qui, le soir, rentrent retrouver leur famille. Comme nous.
L’anecdote s’immisce dans la conversation : l’un d’eux nous explique comment il retire, à l’aide d’un fil dentaire, les bagues des doigts des défunts. L’un rattache ses lacets. Alors qu’ils préparent les corps, ils discutent discrètement entre eux de la soirée de la veille. En confrontant ainsi les réalités pratiques et quotidiennes avec la mort, l’ensemble crée un décalage singulier et désacralise cette dernière en douceur.
Le spectacle est d’ailleurs tout au long mené par la douceur. Le même thème musical, mélancolique, enivrant, joué au piano directement sur scène par un homme silencieux, accompagne les mots, les sourires et les larmes de nos croque-morts. Très humains de par leur sensibilité, leur fragilité, ils se sont mis à nu pour nous. Pendant leurs discours, un enfant a disposé des bougies autour du plateau, en mémoire des morts, peut-être.
Et lorsque les applaudissements résonnent, les deux corps qui jusqu’ici s’étaient tenus tranquilles se lèvent et viennent saluer… Après tout, nous étions au théâtre, ce soir. Et ces quatre croque-morts sont comédiens.