Par Artemisia Romano
FIRE OF EMOTIONS : THE ABYSS / De Pamina de Coulon / Théâtre de l’Usine / du 16 au 22 mars 2017 / Plus d’infos
« Le meilleur conseil que je puisse vous donner est vraiment, simplement, de me faire confiance. On va finir par retomber les quatre pattes sur la terre ferme, je vous en fais la promesse » : promesse dûment tenue par Pamina de Coulon, dans la performance The Abyss , deuxième volet de Fire of Emotions (après Genesis en 2014), présenté pour la première fois au Théâtre de l’Usine à Genève.
Assise sur son grand rocher, Pamina de Coulon nous attend. Elle nous accueille, le regard se posant sur chacun des spectateurs qui prend place. Au pied du rocher, un patchwork tricoté de bleu, la mer, symbole du voyage. S’ensuit une navigation par les mots à travers le temps, où est déconstruit le rapport de l’humain à la temporalité, au savoir, à son expérience, des questions radicalement politiques et philosophiques. Mais cette grande exploration, à la fois temporelle et spatiale, nous repositionne toujours dans le présent, dans l’immédiat. La performance embrasse un instant où l’on peut tout penser, tout mélanger et ce, au-delà des époques, des paradigmes, des niveaux de discours. Elle est une forme de pensée spéculative en train de se faire.
Pamina de Coulon se donne pour mission de ré-ouvrir les boîtes noires, celles que l’on n’ose plus toucher tant elles paraissent hors de portée, non réfutables ou allant de soi : des moments historiques, des découvertes scientifiques, des représentations symboliques, des vérités. Rien n’est immuable, tout peut être questionné. Elle s’y attèle dans une narration où déferlent des idées et des doutes qui rendent compte de réalités et de temporalités multiples, s’émancipant de tout langage qui diviserait, de toute forme manichéenne. On touche du doigt l’abstraction originelle des mathématiques, on se promène au long d’un récit de voyage de la Pangée à Lampedusa, on s’éloigne de l’effroyable Jardin d’Eden pour embrasser la poésie des luttes du Black Bloc.
Pamina de Coulon nous plonge par la pensée dans les profondeurs des abysses en tant qu’elles incarnent le lieu d’investigation des possibles, d’une vie autre. Elles deviennent la métaphore d’un modèle alternatif sur le vivre ensemble et sur la coexistence des individus à travers leurs migrations, leurs naufrages, leur solidarité, leurs engagements, leurs désengagements. Petit à petit, on remonte forcément à la surface pour affronter une question brutale : pourquoi agir ?
La performance de Pamina de Coulon est un réel manifeste où l’intimité introspective se mêle aux souvenirs des conversations familiales, et à l’éloquence des penseurs. Dans la grandeur de ses questionnements, elle nous renvoie sans arrêt à notre individualité. C’est là la force de sa proposition, celle de rendre perméable la frontière entre le petit et le grand.