Les Molière de Vitez : L’Ecole des femmes
De Molière / Mise en scène de Gwenaël Morin / Les Moliere de Vitez / Par le Théâtre Permanent / Théâtre Saint-Gervais / du 14 au 25 mars 2017 / Critique par Margot Prod’hom.
14 mars 2017
Par Margot Prod’hom
On vocifère avec Molière
Il fallait oser : Gwenaël Morin remet en scène les quatre pièces de Molière que Vitez avait mises en scène en 1978, en les dépouillant jusqu’à ce qu’il ne reste que le texte. Parmi elles L’Ecole des femmes, premier spectacle de la tétralogie. Le Théâtre Permanent veut proposer un autre théâtre, à travers l’exagération. Une exagération qui implique aussi le risque, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, de dépasser les limites, et de créer un sentiment de surfait.
En 1978, à l’occasion du festival d’Avignon, Vitez réinterprète les quatre grandes comédies de Molière, clé de voûte de son œuvre – L’Ecole des femmes, Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope –, avec la volonté d’accentuer l’aspect sentimental de ce théâtre. Ce qui intéresse Vitez, c’est l’idée de réinvestir Molière pour faire surgir ses qualités de métaphysicien de l’âme et de penseur des phénomènes humains tels que le mariage, la religion ou la société. Pour lui, il ne s’agit pas de faire du nouveau, mais « de composer autrement le kaléidoscope perpétuel qu’est le travail sur le passé ». Plaçant le comique au second plan, il veut mettre en exergue le caractère méditatif des pièces de Molière. Il met donc en scène un dispositif minimaliste qui laisse place à ce qui fait l’humanité du théâtre : le jeu d’acteur.
Le spectacle de Gwenaël Morin, déjà joué en janvier et en novembre 2016, à Nanterre et à Tulle, veut retrouver Molière à travers l’interprétation de Vitez. On comprend vite, dès notre arrivée au Théâtre Saint-Gervais, avant même que la pièce ne commence, que ce qu’il s’agit de retrouver chez Molière, c’est le texte : il est placardé sur les parois extérieures du théâtre, empilé devant l’entrée de la salle et offert en feuillets aux spectateurs. Le texte est en effet seul au cœur du projet théâtral du metteur en scène: dans la salle, un plateau mis à nu, des comédiens en jeans et baskets, les lumières allumées sur le public, tous les artifices du théâtre sont sacrifiés au profit de la diction ubuesque des vers de Molière. Les comédiens, face au public dans L’Ecole des femmes, récitent à toute allure, le plus vite possible, dans une fidélité impeccable au texte d’origine – réalisant admirablement, il faut le dire, un exercice de diction des plus complexes – parfois le plus fort possible, reprenant bruyamment leur respiration, devenant rouges par manque d’air et laissant apparaître les veines saillantes de leurs cous tant ils forcent le débit. Par ailleurs, au-delà de la performance élocutoire, ils jouent de temps en temps avec le texte, accentuant les diérèses des vers, prenant en dérision certaines formulations, se trompant à dessein sur certains mots, en exagérant d’autres. Comme pour nous montrer encore plus explicitement que le texte est au centre, l’une des comédiennes, qui ne joue pas d’autre rôle dans cette pièce-ci, assise sur le côté de la scène, suit le texte au fur et à mesure et corrige régulièrement les comédiens. Pour les élèves présents dans la salle, le spectacle remplace idéalement la lecture de la pièce, en un temps record, en préparation d’un test. En revanche, pour les spectateurs connaissant la pièce, il faut admettre que la mise en scène n’apporte pas grand chose de plus que de nous repasser la captation sonore de la pièce d’origine en accéléré.
Partant de la conviction que « Les Molière de Vitez ? Au fond, ce sont les Molière de tout le monde », le Théâtre Permanent se réapproprie entièrement L’Ecole des femmes, ne laissant percevoir que difficilement un quelconque lien avec le projet de Vitez. Le jeu exubérant et caricatural des comédiens empêche de prendre au sérieux les enjeux humains et sentimentaux. Il y a un fossé entre le projet de Vitez et celui de Gwenaël Morin : le comique de la pièce originale, loin d’être évacué ou, du moins, présenté comme secondaire à la faveur d’un sérieux propice à la méditation, est au contraire placé au premier plan et amené tout sauf de manière sensible. Du début à la fin de la pièce, les comédiens hurlent, vocifèrent, courent dans tous les sens, se jettent par terre les uns les autres, tapent des pieds, du bâton ou de la batte sur la grosse caisse qui rythme les passages d’un acte à l’autre, se brutalisent mutuellement dans un brouhaha constant. La volonté de transgresser les règles, de faire différemment, en devient elle-même excessive. Pour transgresser et montrer qu’on transgresse, faut-il vraiment se déshabiller, se mettre tout nu, feindre de déféquer sur scène, jouer ou vocaliser des scènes érotiques, se jeter des seaux d’eau à la figure ? En termes de transgression théâtrale, on aurait pu imaginer plus subtil.
Gwenaël Morin dit aimer travailler avec « l’urgence pour produire un théâtre de l’excès et de l’exagération ». Il semble que cette ligne directrice, bien qu’elle puisse faire tout l’intérêt d’une démarche qui reprend des pièces classiques pour les revisiter et les réactualiser de manière émancipée, présente également le risque de se retourner contre elle-même : l’excès devient banal, voire même éprouvant. Lorsque l’urgence de déballer le texte se fait oppressante, une impression de bâclé, de grotesque et de surfait peut naître et nous placer, à notre tour, dans l’urgence que cela finisse.
14 mars 2017
Par Margot Prod’hom