Par Marek Chojecki
Amour et Psyché / D’après Molière / Mise en scène Omar Porras / Teatro Malandro / TKM – Théâtre Kléber-Méleau / du 14 mars au 9 avril 2017 / Plus d’infos
Un vrai travail d’équilibriste. La dernière création du Teatro Malandro propose la relecture d’une tragédie-ballet de Molière, Amour et Psyché, en cherchant à rendre accessible en 2017 ce texte peu connu qui fut représenté en 1671. Un dispositif scénique dont on peut voir les machineries, ouvert à la vue de tous, et pourtant plein de surprises. Du jeu naturel au surjoué, du comique au tragique, des vers à la prose, de l’explosion de lumières jusqu’au noir total, ici chaque proposition scénique connaît son contrepoids, chaque direction vient avec son contraire, tout juste entre le « trop » et le « pas assez ». L’équilibre entre Amour et Psyché.
Pour sa première création au sein du TKM dont il est le directeur depuis 2015, Omar Porras a choisi Psyché, écrite conjointement par Molière, Corneille et Quinault. Le sujet est inspiré de la mythologie grecque : une mortelle, Psyché, par sa beauté rend jalouse Vénus, la déesse de la beauté elle-même. Pour se venger, la déesse envoie son fils, Amour, contraindre la jeune fille à aimer une créature hideuse. Mais Amour s’éprend de Psyché. Cette histoire d’amour entre une mortelle et un dieu est finalement détruite par la jalousie des sœurs de Psyché. Vénus, dans l’espoir de se débarrasser de Psyché, ordonne à la mortelle diverses taches pour retrouver son amant, toutes plus difficiles les unes que les autres, jusqu’à un voyage aux Enfers. Un long chemin de rédemption jusqu’à ce que l’intervention de Jupiter réunisse à nouveau le couple.
Le XVIIe siècle, la mythologie grecque : le texte a déjà de quoi faire voyager les spectateurs contemporains à travers le temps. Pourtant Omar Porras élargit encore le parcours de ce voyage, et nous fait traverser toutes les époques . Tout commence autour d’un feu de camp, autour duquel un chef d’une tribu nomade commence à conter l’histoire de Psyché. C’est ensuite la cour française et le classicisme qui sont à l’honneur : robes, perruques, maquillage. Le monde grec apparaît lorsqu’un hoplite messager apporte la grave nouvelle de l’oracle annonçant que Psyché se mariera avec un monstre. L’esthétique Renaissance surgit aussi dans le jeu des acteurs qui par moment se fige, offrant ainsi des tableaux vivants qui rappellent des angelots de Raphaël, ou encore « La création d’Adam » de Michel-Ange. Et l’époque contemporaine ? Un univers à la Tolkien semble se dessiner sur scène : Psyché a tout d’une elfe vivant dans une forêt sauvage, les princes semblent être des Hobbits qui, pieds nus, s’élancent pour l’aider, alors que le monstre, le terrifiant dragon, n’est autre que l’Amour. Un mélange très dense, mais qui garde un équilibre, puisqu’aucune de ces époques ne semble dominer les autres. C’est un assemblage temporel qui, comme le mythe, assume sa distance avec le spectateur, tout en donnant aux spectateurs l’impression qu’ils regardent toujours quelque chose de familier.
Entre la création d’une fiction et le rappel de l’illusion théâtrale se crée aussi un autre jeu d’équilibre. L’espace de jeu où se déroule l’essentiel de l’action est réduit à un carré en bois surélevé, à l’avant-scène. Sur les côtés, et à la vue du spectateur, toute l’installation technique : les lumières, des câbles, mais aussi des moulinets et des cordes reliés aux décors et manipulés par les acteurs eux-mêmes. Même les changements de costumes se font souvent directement sur scène. Omar Porras rappelle au spectateur qu’il est au théâtre et ne cherche pas toujours à construire un quatrième mur ; certaines scènes sont même à l’adresse directe du spectateur. Mais cela n’écarte pas pour autant le spectateur de l’histoire de Psyché, qui garde toute son intensité : nous n’en sommes distraits que pour mieux nous y replonger.
Le texte lui-même est un équilibre entre le scénario de Molière, les vers de Corneille et les intermèdes de Quinault. Son interprétation est ici orientée vers un jeu naturel, à en faire oublier les rimes. Mais, là aussi, il s’agit d’une direction qui trouve son contrepoids avec des vers rajoutés qui, mis en exergue, rappellent à l’excès la présence de la versification classique, par exemple lorsque les princes racontent leur propre mort en s’exclamant « nous tombîmes dans l’abîme ! ». Impossible de ne pas rire également lorsque les exclamations caractéristiques des textes classiques (« Oh ciel ! ») sont interprétées avec tant d’exagération lors de la mort de Psyché. Humour,donc, d’un côté, mais aspect tragique aussi parfois. Le personnage de Vénus soumet Psyché à des tâches quasi impossibles, comme affronter le dragon de la fontaine de Jouvence ou descendre aux Enfers, dans des ambiances des plus inquiétantes.
Cette lecture contemporaine de Psyché par Omar Porras comporte plusieurs changements par rapport à la pièce originale : certaines scènes sont modifiées, d’autres sont coupées, notamment toute la partie dansée, des passages d’autres œuvres sont insérés. Cette tragédie-ballet initialement prévue pour une durée de cinq heures est ici réduite à une heure et demie. Pourtant,on reconnaît la pièce originale. La proposition scénique permet un accès facile à ce texte peu connu, tout en gardant une distance : elle ne propose pas de déplacement vers un contexte actuel. Une mise en scène qui permet au public après avoir vu une pièce classique à sujet grec de sortir du théâtre avec l’impression d’avoir lu Tolkien.