Par Kendra Simons
une critique du spectacle
Il le faut. Je le veux. / de Valerio Scamuffa / Cie LaScam / Arsenic / du 31 janvier 2017 au 04 février 2017 / Plus d’infos
On a tous un proverbe, caché quelque part, auquel on s’accroche et qui est censé nous guider vers le bonheur. Seulement voilà, il y a comme un léger décalage entre ce proverbe et… la vie. La création de la Cie Lascam expérimente ce décalage entre mots d’ordre et vie, entre raison et ressenti.
Une pierre grise posée sur un coussin fleuri, au milieu d’un vaste sol quadrillé noir et blanc. Surréaliste. On entend une flûte asiatique, la brume envahit le plateau. Mystique. Un guerrier se profile, enchaîne des mouvements d’arts martiaux, finit par se poser au-dessus de la pierre. Étrange. Il soulève la pierre, lourde, se concentre et… la rompt. La pierre est maintenant en deux morceaux. Division de ce qui était un. Le bal du décalage peut commencer.
Valerio Scamuffa a développé la pièce en collaboration avec la comédienne espagnole Olga Onrubia. Sur le feuillet du spectacle, l’artiste lausannois nous parle du décalage : « Construite en deux temps, la pièce explore cette notion de dualité. Nos émotions et notre raison, notre esprit et notre corps, notre être social et notre être sauvage, le masculin et le féminin. Nous avons appris à nous séparer, des autres certes, mais aussi de nous-mêmes. ».
Décalage entre homme et femme. Deux individus entrent sur le plateau. Habillés de chemises fleuries, ils tournent en rond, énergiquement. Il porte une perruque, elle porte une barbe. Ils se présentent, se disent perdus. Mais ils ont « très très envie d’être heureuses ».
Décalage entre langage et corps. Ils parlent des proverbes qui les aident, comme : « ce qui vient, convient ». Sourires complices dans le public. C’est qu’ils sont drôles et attachants, avec leur manière de parler en se replaçant la chevelure derrière l’oreille. Ils se renvoient les phrases en ping-pong, tournent en rond sur les carrés du sol et tout leur débat finit dans un grand éclat de rire. Le corps reprend le dessus et, avec lui, l’irrationnel.
Décalage entre hémisphère gauche et hémisphère droit. Oui, parce qu’au fond, on assiste à un cerveau qui réfléchit. Il se demande pourquoi il n’est pas heureux. Et il tente de trouver une solution rationnelle. Puis on a affaire à un corps humain, qui, lui, cherche la sensation du bonheur, dans l’immédiat.
Mais une fois que l’on croit l’avoir saisie, cette dualité, tout commence à se mélanger. Décor, lumière et musique dansent avec les mots des acteurs, et le tout passe à une autre échelle. Les angoisses personnelles entrent en résonance avec la spiritualité asiatique, le monde baroque, la prostitution, la figure du Christ. Le lien au corps et à sa souffrance. Le lien à l’autre.
Les acteurs ont touché le public ce soir-là, par leur jeu exprimant la faiblesse, la vulnérabilité. Pouvoir dire qu’on est perdu, que quelque chose ne va pas. Laisser un temps de vide, un temps incohérent, avoir l’air bête devant l’autre. Mettre à nu son raisonnement, ses émotions et son corps. Peut-être que c’est par là qu’un chemin est possible ? Peut-être devons-nous apprendre à moins séparer et, comme le dit Valerio Scamuffa, à « laisser entrer une part de magie dans notre chair » ? Et peut-être même que cette dualité, fantasme de philosophe, n’existe pas vraiment.