Par Fanny Utiger
Une critique du spectacle
Genesis (J’ai envie de parler de théâtre avec vous) / de et par Jean-Michel Potiron / Compagnie théâtre à tout prix / La Grange de Dorigny / du 2 au 4 février 2017 / Plus d’infos
Dans un théâtre, mais pas dans une salle ; face à un artiste, mais qui ne joue que son propre rôle ; avec Pasolini ou Bernhard, mais avec peu de leurs mots seulement… Genesis est une pièce qui feint de ne pas l’être, sans prendre complètement le spectateur dans la supercherie, car le quatrième mur ne s’écroule jamais vraiment.
Que viens-je de voir ? Était-ce une pièce de théâtre ? Une performance ? Ou juste une discussion ? Genesis déconcerte, laisse un peu pantois lorsque l’on en sort. Il faut dire que l’expérience est singulière, et Jean-Michel Potiron, auteur, interprète et metteur en scène, semble en être bien conscient, devant son petit groupe de spectateurs. Il les a pour l’événement réunis dans un endroit particulier : pour une fois, le fameux passage du foyer à la salle, propre à la Grange de Dorigny n’aura pas eu lieu : on se retrouve dans une loge.
Il a envie de parler de théâtre avec nous. Très bien, nous voici donc installés dans sa loge pour qu’il le fasse. Potiron a de nombreux rêves théâtraux à partager, tant de pièces qu’il aspire à adapter un jour. Il a, déclare-t-il, une heure devant lui environ. Après cela, il jouera ; c’est la cinq-centième de son Protesto … On se doute bien qu’il n’y aura d’autre spectacle que celui qui se trame dans ce cadre intrigant.
C’est au sujet d’Orgie, de Pasolini, que s’exprime d’abord Potiron. Sans fil conducteur apparent, sautant d’acte en prologue, de l’épilogue à un autre acte, il conte à sa façon l’œuvre, manifestement ardue à monter, de l’auteur italien. Dans le même temps, il l’analyse, si bien qu’il aboutit à quelques propositions de significations, et, finalement, à ce qui pourrait bien être une genèse de sa mise en scène de la pièce, avant qu’il passe à un travail plus concret. Il en ira de même à propos de Thomas Bernhard et de sa Place des héros.
Face à ces réflexions sur le théâtre, souvent drôles, parfois brillantes, entre considérations sur l’art, idées de mises en scène, et autres contextualisations, le public est traité en complice, pourquoi pas en interlocuteur. Les explications de Potiron sont ouvertement adressées à ceux qui l’écoutent. Invités à le faire ou non, ils prennent aussi la parole si cela leur prend. La place qu’occupe le spectateur est ainsi chamboulée. Il n’y a pas de grande différence spatiale entre l’acteur et lui, pas de face à face concret entre un plateau et des rangées de fauteuils. Ce n’est pas que les publics habituels soient passifs, mais dans le cas présent, le fait de se retrouver si près d’un comédien implique le spectateur dans la représentation plus que d’ordinaire, ne serait-ce que parce qu’il doit se montrer plus attentif à ses propres réactions – alors qu’un dispositif théâtral traditionnel le laisserait dans l’obscurité.
Mais a-t-on vraiment envie de cela, d’être si concrètement inclus dans un spectacle ? Ce rôle attribué au public, dans ce qui se présente comme un échange autour du théâtre, s’avère parfois très déstabilisant. Cette configuration, qui bouleverse le rapport institué entre qui regarde et qui joue, force le trait au point d’imposer au spectateur une familiarité qui peut provoquer plus de malaise que de connivence. A tel point que l’artificialité du projet tend à s’exacerber alors même qu’il semble prétendre au naturel. On pense à quelques spectacles similaires, ceux de Fabrice Luchini notamment. Le comédien y traite dans son propre rôle, de façon très personnelle, de théâtre, de cinéma, de littérature… La représentation a lieu dans un cadre théâtral conventionnel et donne pourtant l’impression, parfois, d’un espace bien plus immédiatement intime. Genesis, en invitant physiquement le spectateur dans le confinement d’une loge, révèle combien l’intimité et la cordialité sont elles-mêmes construites. Les paroles que l’on y entend, ces mots sur le théâtre, sur l’art, s’écoutent quant à eux, en revanche, non sans plaisir. Et ce sont ces fragments de pensée qui intriguent le plus dans tout ce projet qui, en ce sens, se présente vraiment comme un partage.