Par Jonathan Hofer
Une critique du spectacle
De Jérôme Bel / Théâtre de Vidy / du 31 janvier au 3 février 2017 / Plus d’infos
Danser pour soi, danser pour les autres, avec les autres. S’approprier la musique, dans son corps entier, la faire sienne. Tout un chacun possède sa propre façon de s’exprimer à travers la danse. C’est ce tout, cette multiplicité universelle que Jérôme Bel cherche à questionner et affirmer dans sa création Gala.
Auteur, créateur et interprète international, Jérôme Bel aime déconstruire les procédés de la danse et remettre en question les dichotomies ordinaires qui séparent le monde du spectacle du monde du spectateur. C’est bien de cela qu’il s’agit quand le chorégraphe se propose de mêler des artistes confirmés aux artistes amateurs sur le plateau. Ainsi, c’est une troupe hétéroclite – composée d’individus de la ville dans laquelle le spectacle a lieu – qui se produit sur scène, dans un mélange de styles, d’âges, de sexes et de physionomies, et qui interprète autant du ballet que de la pop.
Le spectacle propose une forme très répétitive et dénuée de tout artifice technique pour apprécier les différentes appropriations des danseurs. La scène apparaît libre de décors : uniquement un sol blanc emmuré par des rideaux noirs. Les accessoires aussi sont pratiquement inexistants et la seule variation que l’on peut trouver dans les objets scéniques se situe au niveau des costumes que les artistes échangent à un certain moment. C’est la chorégraphie qui est propice à l’observation des variations. Dans la première partie du spectacle, on assiste à des passages individuels sur un thème musical et des pas imposés, que chaque danseur doit s’efforcer d’effectuer au mieux de ses capacités. Ensuite, dans la deuxième moitié, un des danseurs montre l’exemple et les autres doivent suivre la chorégraphie qu’il interprète. Ces deux parties permettent de comprendre comment chacun s’exprime en réalité d’une façon unique.
Le projet artistique de Jérôme Bel questionne le rapport entre la musique et l’individu. Le spectateur s’identifie très rapidement à des caractères, à un ethos, à des corporalités, et cette identification donne lieu à des rencontres très touchantes : on a l’impression de connaître intimement les gens qui se livrent sur scène sans passer par le filtre d’un personnage fictif. Le spectacle atteint aussi son objectif en cela qu’il choque le spectateur en faisant venir sur scène des caractères inhabituels. En effet, Jérôme Bel propose de mettre en avant l’individu en chaise roulante, le trisomique, la personne en surpoids, … . Plus que le rapport au corps, c’est la limite entre l’attendrissement, le rire et même la moquerie qui est mise en question : pourquoi est-ce que tel danseur me fait sourire ? me donne envie d’applaudir ?
La structure répétitive sur laquelle se base le spectacle permet cependant aussi à l’ennui de s’installer : l’introduction du spectacle – une suite de photographies montrant différents théâtres – ainsi que les nombreux passages des danseurs ne fournissent pas sur la durée matière à une réflexion constante, et la maladresse des amateurs laisse souvent indifférente plus qu’elle ne questionne.
Le spectacle se livre ainsi avec danger au spectateur : entre ennui et émerveillement, cette prestation laissera autant d’indifférents que de spectateurs conquis.