Genesis
de et par Jean-Michel Potiron / Compagnie théâtre à tout prix / La Grange de Dorigny / du 2 au 4 février 2017 / Critiques par Jérémy Berthoud et Fanny Utiger.
2 février 2017
Par Jérémy Berthoud
Si proches et si loin
Dans le cadre intime d’une loge de la Grange de Dorigny, Jean-Michel Potiron convie son public pour un spectacle autour de ses projets de mise en scène. Quand théâtralité et convivialité cohabitent avec difficulté…
Tout commence dans le foyer de la Grange. La quinzaine de spectateurs attend patiemment que l’on vienne les chercher pour les mener dans la grande salle. Surprise : le spectacle n’aura pas lieu sur scène mais dans une petite loge avec douche et WC. Un homme, un peu envahissant mais sympathique, prend le temps de saluer chacun d’une poignée de main ou d’une bise avec une bonne humeur légèrement ostentatoire. C’est le metteur en scène et comédien Jean-Michel Potiron. Après qu’il a été cherché quelques chaises, tout le monde s’installe en cercle autour de lui, brisant la traditionnelle distinction entre artiste et spectateurs. On ouvre la bouteille de mousseux, les verres tintent, les chips circulent… Voilà qui laisse le temps de poser son regard sur l’ensemble de la petite salle. Quelques photos, un bouquet de roses – cadeau réservé aux premiers rôles selon la tradition –, des vêtements éparpillés… La loge est sans doute occupée. Effectivement, Potiron doit, nous dit-il, monter sur scène dans une heure et tient à partager ce laps de temps avec nous pour parler de théâtre. Malgré une histoire difficilement croyable (nous savons pertinemment qu’il n’y a pas de spectacle dans une heure), Potiron s’amuse régulièrement à maintenir un semblant d’illusion. Son spectacle s’appuie en effet sur divers procédés volontairement exagérés pour mieux pouvoir en rire avec nous: il répète fréquemment au cours de la discussion que l’heure approche, il a réglé un réveil pour lui signaler de se préparer et un membre du personnel de la Grange vient en personne lui dire de monter sur le plateau – comme dans les plus grands spectacles hollywoodiens.
Potiron souhaite nous parler de ses rêves de mise en scène. Mais, régulièrement, on peine à dire si son personnage parle de ses rêves ou de ses projets en cours de réalisation… Emporté par sa bonne humeur, il se perd un peu et ces incohérences empêchent de mieux le cerner; d’autant plus qu’il s’adresse principalement à ses deux voisins en les tutoyant, ce qui exclut en partie les autres spectateurs présents dans la loge. Pour parler de théâtre avec nous, Potiron a choisi un dispositif délibérément théâtralisé, notamment au niveau des effets comiques qu’il emploie (parler plus fort, laisser des silences). Cependant, cette théâtralité ne s’accorde pas entièrement avec le cadre plus intimiste d’une loge.
Quoi qu’il en soit, la passion de cet homme pour les pièces dont il nous parle est bien réelle. Ce soir, il discute d’Orgie, de Pier Paolo Pasolini, et Place des héros, de Thomas Bernhard. Tout en nous résumant efficacement les deux textes, il nous en donne, avec beaucoup de finesse, les grandes lignes interprétatives, en insistant particulièrement sur leur dimension idéologique et politique. Il termine en nous donnant les points sur lesquels il insisterait dans une hypothétique mise en scène.
C’est l’heure. Potiron doit partir. Après une fausse sortie et les applaudissements de rigueur, il revient pour discuter avec nous, non en tant que personnage mais en tant qu’humain. Il répond avec gentillesse à nos questions et nous explique ce qui l’a mené à élaborer son Genesis. Cet «après-spectacle», en marge de son spectacle qui était lui-même en marge d’un prétendu autre spectacle, aura permis de voir le vrai Potiron et de le comparer, non sans plaisir, avec son personnage (qui lui ressemble dans une très large mesure).
Parler de théâtre n’est pas une activité anodine; cela en dit souvent long sur un individu, ses goûts artistiques, ses conceptions du réel, de l’imaginaire, de la politique, son rapport aux émotions… C’est un moyen de connaître et de se rapprocher de ses semblables. Potiron a bien saisi l’importance d’un tel acte mais, en faisant de ce geste intime un spectacle théâtral et théâtralisé, il en a paradoxalement écarté une dimension «sociale» et conviviale que les chips et le champagne ne peuvent entièrement compenser.
2 février 2017
Par Jérémy Berthoud
2 février 2017
Par Fanny Utiger
Le théâtre est un oiseau rebelle
Dans un théâtre, mais pas dans une salle ; face à un artiste, mais qui ne joue que son propre rôle ; avec Pasolini ou Bernhard, mais avec peu de leurs mots seulement… Genesis est une pièce qui feint de ne pas l’être, sans prendre complètement le spectateur dans la supercherie, car le quatrième mur ne s’écroule jamais vraiment.
Que viens-je de voir ? Était-ce une pièce de théâtre ? Une performance ? Ou juste une discussion ? Genesis déconcerte, laisse un peu pantois lorsque l’on en sort. Il faut dire que l’expérience est singulière, et Jean-Michel Potiron, auteur, interprète et metteur en scène, semble en être bien conscient, devant son petit groupe de spectateurs. Il les a pour l’événement réunis dans un endroit particulier : pour une fois, le fameux passage du foyer à la salle, propre à la Grange de Dorigny n’aura pas eu lieu : on se retrouve dans une loge.
Il a envie de parler de théâtre avec nous. Très bien, nous voici donc installés dans sa loge pour qu’il le fasse. Potiron a de nombreux rêves théâtraux à partager, tant de pièces qu’il aspire à adapter un jour. Il a, déclare-t-il, une heure devant lui environ. Après cela, il jouera ; c’est la cinq-centième de son Protesto … On se doute bien qu’il n’y aura d’autre spectacle que celui qui se trame dans ce cadre intrigant.
C’est au sujet d’Orgie, de Pasolini, que s’exprime d’abord Potiron. Sans fil conducteur apparent, sautant d’acte en prologue, de l’épilogue à un autre acte, il conte à sa façon l’œuvre, manifestement ardue à monter, de l’auteur italien. Dans le même temps, il l’analyse, si bien qu’il aboutit à quelques propositions de significations, et, finalement, à ce qui pourrait bien être une genèse de sa mise en scène de la pièce, avant qu’il passe à un travail plus concret. Il en ira de même à propos de Thomas Bernhard et de sa Place des héros.
Face à ces réflexions sur le théâtre, souvent drôles, parfois brillantes, entre considérations sur l’art, idées de mises en scène, et autres contextualisations, le public est traité en complice, pourquoi pas en interlocuteur. Les explications de Potiron sont ouvertement adressées à ceux qui l’écoutent. Invités à le faire ou non, ils prennent aussi la parole si cela leur prend. La place qu’occupe le spectateur est ainsi chamboulée. Il n’y a pas de grande différence spatiale entre l’acteur et lui, pas de face à face concret entre un plateau et des rangées de fauteuils. Ce n’est pas que les publics habituels soient passifs, mais dans le cas présent, le fait de se retrouver si près d’un comédien implique le spectateur dans la représentation plus que d’ordinaire, ne serait-ce que parce qu’il doit se montrer plus attentif à ses propres réactions – alors qu’un dispositif théâtral traditionnel le laisserait dans l’obscurité.
Mais a-t-on vraiment envie de cela, d’être si concrètement inclus dans un spectacle ? Ce rôle attribué au public, dans ce qui se présente comme un échange autour du théâtre, s’avère parfois très déstabilisant. Cette configuration, qui bouleverse le rapport institué entre qui regarde et qui joue, force le trait au point d’imposer au spectateur une familiarité qui peut provoquer plus de malaise que de connivence. A tel point que l’artificialité du projet tend à s’exacerber alors même qu’il semble prétendre au naturel. On pense à quelques spectacles similaires, ceux de Fabrice Luchini notamment. Le comédien y traite dans son propre rôle, de façon très personnelle, de théâtre, de cinéma, de littérature… La représentation a lieu dans un cadre théâtral conventionnel et donne pourtant l’impression, parfois, d’un espace bien plus immédiatement intime. Genesis, en invitant physiquement le spectateur dans le confinement d’une loge, révèle combien l’intimité et la cordialité sont elles-mêmes construites. Les paroles que l’on y entend, ces mots sur le théâtre, sur l’art, s’écoutent quant à eux, en revanche, non sans plaisir. Et ce sont ces fragments de pensée qui intriguent le plus dans tout ce projet qui, en ce sens, se présente vraiment comme un partage.
2 février 2017
Par Fanny Utiger