Par Kendra Simons
Une critique du spectacle
La petite casserole d’Anatole / D’après l’album d’Isabelle Carrier, adaptation et mise en scène par Cyrille Louge, conception des marionnettes par Francesca Testi / Le Reflet, théâtre de Vevey / 12 février 2017 / Plus d’infos
Avec ses marionnettes, dans un langage imagé, ce spectacle raconte l’histoire d’un petit garçon bien embêté par sa casserole. A travers le parcours d’Anatole, c’est aussi une question qui est posée au jeune public : et toi, qu’est-ce que tu as dans ta casserole ? A la fois drôle et féérique.
Il faut d’abord passer derrière le grand rideau rouge. Tout se tient dans cet espace resserré, sur la scène du grand théâtre. Une foule d’enfants, à l’avant de gradins improvisés, sur des coussins roses et bleus. Quelques rangées d’adultes, derrière eux. Et, tout au fond de la scène, en vis-à-vis des gradins, une petite scène à marionnettes, avec trois plateaux de hauteurs différentes. J’hésite avant de m’asseoir : l’ambiance près des coussins roses et bleus est sympathique. Mais c’est une époque révolue pour moi et je vais m’asseoir juste derrière les joyeux petits êtres.
Enfin le spectacle commence. Et j’oublie tout de mon âge. Il y a le personnage d’Anatole, farfelu et attachant, les rebondissements de son histoire, la musique envoûtante, qui donne envie de danser ; et surtout, la magie des marionnettes.
Sous les mains des marionnettistes, les petites choses de chiffon s’animent : elles déambulent, se rencontrent, s’évitent, boudent. Elles disposent de tout le panel émotionnel des humains, sans pour autant être soumises aux mêmes lois physiques qu’eux. Parfois, elles flottent dans les airs, et alors tous les enfants suspendent leur souffle. Loin de se contenter de formes humaines, les marionnettes prennent toutes sortes d’apparences fascinantes : des nuages aux contours variés qui racontent l’histoire à leur manière, des notes de musique qui grossissent au fur et à mesure qu’Anatole s’approche de la maison musicale, un arbre sur lequel poussent des fleurs.
Les marionnettes ont été confectionnées par Francesca Testi, comme pour tous les spectacles de la Compagnie Marizibill, fondée en 2006 par Cyrille Louge. C’est elle aussi qui leur donne vie, ici aux côtés d’Anthony Diaz. La complicité des deux marionnettistes, derrière et au-dessus de leurs petits personnages, est belle à voir. Animés de tristesse ou d’espièglerie, leurs visages, seule partie visible, sont un spectacle en soi. Leur jeu à quatre mains fait naître une petite symphonie de la vie.
L’histoire d’Anatole, ce petit garçon qui traîne derrière lui une casserole, a été inventée par Isabelle Carrier. Anatole s’emmêle avec sa casserole, qui l’empêche de marcher normalement et l’éloigne des autres. Mais il apprend peu à peu à vivre avec et à en découvrir la beauté.
Rappelons-le, il s’agit ici de fiction : Anatole est l’imitation d’un petit enfant. Mais cette poupée humanoïde traverse, sous les yeux du jeune public, ce que peut traverser un enfant d’aujourd’hui lorsqu’il est différent. Mais cette imitation a lieu dans un monde simplifié, épuré, où les actions se déroulent les unes après les autres. Lorsque j’entends de fortes réactions de moqueries ou d’empathie – « Grand-maman, pourquoi il pleure, Anatole ? Pourquoi il pleure ? » –, je me rends compte que cette simplification permet aux enfants de (re)vivre, avec une certaine distance, des émotions complexes de peur, de rejet ou d’amitié ; et ainsi, peut-être, de les exorciser, grâce au filtre de la fiction.
Que peut bien représenter cette petite casserole, qu’Anatole est obligé de traîner partout ? A l’origine de l’album d’Isabelle Carrier, il y a sa première fille, atteinte de trisomie. Mais l’histoire prend une tournure plus universelle et la casserole est surtout « une autre façon d’être au monde, de le voir et de le regarder, une autre façon, drôle, bizarre et poétique, de le traverser », comme le dit Cyrille Louge. Finalement, elle représente aussi bien tout ce qui embête chacun de nous : nos différences, nos défauts, nos écarts par rapport à la norme. Grâce au monde symbolique des marionnettes, les enfants peuvent laisser mijoter leur propre histoire dans la petite casserole. Il y a la casserole qui fait mal, celle qui se coince dans les lampadaires ou empêche de monter aux échelles pour rejoindre les copains. Mais il y a aussi la casserole qui rend la vie plus belle, celle sous laquelle s’abriter quand il pleut et dans laquelle on peut faire pousser des fleurs. Et si on est très calme, comme Anatole, et qu’on écoute sa propre petite casserole, on peut même y entendre le bruit de la mer.