Miss Poppins

Miss Poppins

The Divine Company / adaptation et mise en scène Stefania Pinnelli / Le Petit Théâtre / du 7 au 31 décembre 2016 / Critiques par Céline Conus et Alice Moraz. 


« Tout se transforme ! »

13 décembre 2016

© Philippe Pache

Un tour de parapluie et la voilà à Lausanne, en 2016 ! La fantastique nounou aide un père et sa fille à « regarder les choses autrement », surmontant ainsi petits soucis et grandes peines, à l’aide de chansons, de danses et surtout de nombreux tours de magie entre apparitions, disparitions, multiplications, jonglage et étincelles. Le tout est plein d’enseignements et l’escale en vieille ville vaut le détour… 

C’est une véritable petite machinerie magique qui se déploie dans le Petit Théâtre ! Au centre de la scène, un plateau noir qui se fond dans le décor et duquel sortiront des paysages, des mondes, des ambiances. Les jeux de trappes et les mécanismes cachés vous attraperont, c’est sûr, quel que soit votre âge. Au mur, trois bibliothèques qui renferment bien des secrets. Les murs, tiens, parlons-en : on peut passer au travers. Quant aux lumières, elles changent, s’éteignant parfois tout à fait, faisant luire des silhouettes dansantes et volantes, laissant briller les étoiles dans le ciel et dans les yeux des spectateurs, émerveillés par les vrais tours de magie qui rythment le spectacle.

Nous sommes en 2016 et Miss Poppins officie encore. Belle et pétillante, elle ne vieillit pas et excelle toujours autant dans son métier de gouvernante. Elle atterrit cette fois chez Emma, une jeune fille de dix ou douze ans et son père, Monsieur Peterson, architecte : gentil papa certes, mais papa dépassé… Emma en fait voir de toutes les couleurs à une ribambelle de nounous qui ne restent pas bien longtemps dans la petite famille, poussées à bout par la fillette et son fort caractère, ses idées bien arrêtées sur ce qu’elle aime ou pas. Ce qui manque à Emma, c’est tout d’abord sa mère, qui n’est plus là, mais aussi quelqu’un qui soit capable de canaliser son énergie et de stimuler son imagination, quelqu’un qui lui montrerait comment regarder la vie en s’émerveillant, quel que soit son âge. Papa Peterson prendra aussi une leçon à ce sujet, ainsi que la truculente grand-mère d’ailleurs…

Toute l’histoire se passe donc dans l’appartement d’Emma et de son père. Enfin, oui et non… Enfin, pas tout à fait. Comment vous dire…. Parfois, dans une forêt enchantée, tout le monde prendra de grands bols d’air à la fraise sortant d’une théière magique, dans de grandes tasses aux couleurs acidulées qui tiennent toutes seules en l’air (c’est pratique). Parfois, sur la plage, se suçoteront des conversations sucrées entre amis. Parfois dans le salon, Emma – il le faut bien – fera ses devoirs. Mais il n’est pas impossible que jouer avec les mots fasse apparaître soudain…Cyrano de Bergerac ! Traversant ce même salon, fendant l’air de son nez, que dis-je de son roc, de son pic, de son cap, son grand chapeau à plumes à la main, le maître de la formule va nous démontrer que les mots piquent, caressent, flattent, chatouillent ou se révèlent parfois très utiles…  Tout cela est bien fatigant n’est-ce pas ? Qu’à cela ne tienne, apparaitront des chaises pour se reposer, cachées dans les murs du salon. Elles étaient là depuis le début, mais on ne les avait pas vues. Besoin d’un peu d’air ? On installe une fenêtre, comme par magie. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme le dit Miss Poppins.

Que les fans de Mary Poppins se rassurent, il y aura aussi des chansons et de la danse, des personnages hauts en couleur ! En revanche, point de Supercalifragilisticexpialidocious : « c’est dépassé ! » nous dit la merveilleuse nounou. qui lui substitue un autre mot qu’il m’est bien impossible de reproduire ici, : tout aussi long et compliqué mais, c’est promis et je l’ai vu, tout aussi magique !

Les acteurs prennent, cela se voit, un plaisir délicieux  et plongent à corps perdu dans la magie de l’histoire. Olivia Seigne est tellement jolie avec son parapluie magique, ses bottes années trente à petits boutons qui dessinent ses élégantes et fines chevilles et sa grande jupe à volants, qu’elle a fait battre mon cœur de petite fille : je voyais Mary Poppins ! Denis Correvon est un très gentil papa qui ouvrira les yeux et apprendra à regarder les choses autrement. Sandrine Girard est une petite Emma gentiment agaçante parfois, drôle et tellement touchante. François Karlen endosse tour à tour et toujours avec grand talent les costumes de grand-mère, vendeur de sucreries sur la plage et ouvrier du bâtiment ! Pierric Tenthorey est un Tim drôle et rassurant, magiquement omniprésent ! Un grand coup de chapeau donc à Stefania Pinnelli qui a courageusement osé l’adaptation et la mise en scène de ce grand classique ainsi qu’à toute l’équipe technique qui fait advenir le merveilleux sous nos yeux. Dans une époque qui loue le virtuel, qu’il est bon et poétique de « voir en vrai » la magie opérer. Tous les enfants présents cet après-midi là ne s’y sont pas trompés. Magie, poésie, humour et mélodie : à coup sûr, ce très joli spectacle émerveillera les enfants, celui que vous tiendrez par la main ce jour-là, où celui que vous êtes encore au fond de vous.

Une anecdote encore : en attendant l’ouverture des portes de la salle, enfants et parents sont réunis dans la cafétéria : cela sent bon le chocolat chaud, ça grignote des biscuits dans tous les coins… Du plafond sur lequel est peint un ciel en trompe l’œil pendent des petites boules de papier chiffonnées. Une grand-mère dit doucement à sa petite-fille : « Tu as  vu la déco, c’est joli non ? ». Et la petite de lui répondre : « Ce n’est pas de la déco mamie, c’est des nuages ! ». Que disait Mary Poppins déjà ? Ah oui ! Regarder les choses autrement…

13 décembre 2016


Le champ des possibles

13 décembre 2016

© Philippe Pache

Magique ! C’est bien l’impression que laisse Miss Poppins,  spectacle basé sur le livre de Pamela Lyndon Travers et adapté par The Divine Company. Les comédiens se jouent des difficultés techniques et donnent à voir une version enchanteresse de la célèbre histoire.

Veuf et débordé par son travail, Mr. Peterson se désespère de l’effet que fait sa fille sur ses gouvernantes qui prennent la fuite les unes après les autres. Il voit donc arriver Miss Poppins d’un œil perplexe sans se douter qu’il est sur le point de laisser entrer un souffle de magie dans sa maison. C’est une gouvernante un peu old school mais résolument imaginative qui remporte la confiance d’Emma. Elle est accompagnée de son complice Tim, aussi à l’aise dans son rôle de facteur que de motard ou de constructeur en bâtiment et qui pourrait presque être la version fantaisiste du père d’Emma. La version de Denis Correvon et Stefania Pinnelli met en avant les qualités maternelles de Miss Poppins et exploite sur le plan scénique ses ressources magiques. Cette femme est bien décidée à ce qu’Emma ne se laisse pas formater par le monde actuel. Elle l’emmènera dans une forêt imaginaire ou auprès d’un marchand qui propose les bonbons du « langage universel », celui que l’on perd en devenant adulte. Le goût de la gouvernante pour les mots et l’imagination convoque Cyrano de Bergerac à venir partager une partie de sa tirade du nez et fait sortir l’air de la Reine de la nuit d’un livre de chant : des références littéraires et musicales qui plairont aux plus grands.

On pardonnera volontiers les petites leçons de morale qui sonnent quelques fois comme des clichés tant l’ensemble est bien mis en scène : les difficultés dues à la taille du plateau sont résolues pour présenter tous les espaces à partir des mêmes éléments de décors qui sont déplacés ou transformés et les effets magiques se glissent dans la pièce avec une étonnante fluidité. Car il fallait non seulement trouver des astuces pour retranscrire l’atmosphère magique qui plane dans la légendaire œuvre mais aussi les adapter au média particulier qu’est le théâtre. Chapeau bas au comédien et magicien Pierric Tenthorey à qui les responsables de la conception ont confié la création des effets magiques. Comme il a généreusement partagé ses secrets, les autres comédiens peuvent eux aussi transformer une pomme en poire, plus au goût d’Emma (qui passe du pyjama à la robe en un tour de main) ou verser un bol d’air frais puis un liquide aromatisé à la fraise avec une théière aux couleurs pastel. Et c’est sans difficulté apparente que la gouvernante fait rentrer son parapluie entier dans un sac qui donne l’impression de contenir tous les trésors du monde.

Les différents espaces se déploient tous à partir d’une base composée d’un plateau central. Les murs sont matérialisés par de larges bandes élastiques par lesquelles peuvent entrer et sortir les comédiens. Les décors se hissent sous nos yeux : des arbres en cartons sortent de sous les planches, sont tendus vers le haut par des câbles puis s’illuminent, lorsque les personnages passent du monde réaliste à celui de la fantaisie. Les chaises se détachent des portes et se montent comme des meubles minimalistes. Les jeux de lumières viennent parfaire l’impression que le merveilleux peut être convoqué à tout instant.

Même le père qui, tout au long de l’histoire, n’a pas cru un seul instant à ce que racontait sa fille, se laisse finalement convaincre par la vision de cette gouvernante à la fois stricte et fantaisiste, pour qui il suffit de voir les choses sous un angle différent. La preuve par le théâtre que tout est question de perception et que l’imagination cohabite sans heurt avec la réalité, et rend la vie plus douce pour les petits et pour les plus grands.

13 décembre 2016


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